Une loi sur la fin de vie, fera-t-elle l’objet d’une nouvelle dèchirure entre français ?

Après les dissensions résultant d’une approche sociétale et cultuelle des françaises et français envers le mariage pour tous, va-t-on vers une nouvelle bataille entre pro et anti, entre religieux et laïcs sur la possibilité légale de gérer sa fin de vie. Mais au fait n’est-ce pas le sens de la dignité et du respect du citoyen qui sera en jeu lorsque, entre autre, l’acharnement thérapeutique est patent ? MC

Une proposition de François Hollande nécessitera encore plus de fermeté que la loi du mariage pour tous, c’est la proposition 21: « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » Le mot dignité sera sans doute le premier lieu de l’affrontement, tant ce terme a de sens. Schématiquement, pour les partisans de l’euthanasie, chacun a le droit de construire sa vie et d’élaborer son sens de la dignité.

On ne naît pas digne, on le devient, pour paraphraser Érasme et Sartre. Pour les opposants, la dignité est ontologique, totalement liée à la nature humaine et donc non accessible à la volonté individuelle ni au débat. Il y a là une ligne jaune qui sépare la loi Leonetti (1), qui prévoit l’arrêt possible des traitements, de l’alimentation et de l’hydratation, de la possibilité d’un choix personnel d’abréger une vie devenue sans sens pour celui qui la vit. Cette ligne jaune a été le guide du rapport Sicard et risque d’être celle du Comité consultatif national d’éthique au vu de sa composition et des positions de son président. Respect d’une morale supérieure, respect de la vie avant tout, face au droit individuel de choisir son destin, ramène à 1975, à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Le débat sera aussi rude mais le choix du choix s’appuie sur les trois termes de la devise de la République: Liberté, Égalité. Fraternité.

Liberté. Les suicidés étaient rejetés par toutes les grandes religions. Ils n’avaient pas le droit de « décider » de quitter la vie. Le suicide est pourtant la solution laissée à ceux qui sont à bout de souffle, dans la solitude, quand les souffrances mènent à l’impasse. Avec le risque d’un choix mal éclairé, d’un non-choix. La liberté de choisir fait partie des grands combats du XXe siècle. Elle ne s’impose pas à l’autre, nul n’est obligé de prendre la pilule ou de faire un mariage gay. Cette liberté ne va pas sans contrainte, comme toute liberté. Des règles existent d’ailleurs dans les pays qui ont légiféré pour s’assurer de la sincérité et de la pertinence de la demande.

Égalité. Avant la loi de 1975, les femmes qui avaient finances ou connaissances pouvaient un peu plus facilement arrêter une grossesse non désirée. La loi n’a pas fondamentalement modifié le nombre d’IVG mais elle a permis, pour toutes, des conditions de sécurité optimales. Pour l’euthanasie, il n’y a pas d’épidémie dans les pays qui ont légiféré, les comparaisons avant-après ayant leurs limites. En France, 48 % des décès non brutaux en 2010 ont été précédés d’une décision ayant potentiellement ou certainement accéléré la mort (INED, la fin de vie en France). L’étude ne dit pas combien de patients ont donné leur avis. Ce sera un apport de la loi à venir que de leur redonner la parole. Une loi évitera que ne se développent les voyages de la dernière heure qui permettent à ceux qui souhaitent et peuvent choisir le moment de leur mort de s’exiler, notamment en Suisse.

Fraternité. « Un chien, on ne le laisserait pas tant souffrir », entend-on trop souvent. Et encore, le chien n’a pas la conscience de ce qui va arriver, les douleurs, l’asphyxie lente ou rapide, l’hémorragie cataclysmique, la perte totale des facultés intellectuelles… Les soins palliatifs, comme culture qui diffuse et non comme espace spécialisé, sont une réponse pour nombre de patients. Ils ont toutefois des limites, même si le discours convenu en fait le dernier lieu de la toute-puissance médicale, sans faille et sans échec. Le devoir d’empathie, ce que l’on peut appeler la fraternité, la capacité de comprendre que l’autre souffre sans projeter sur lui des conceptions de vie préétablies, rend nécessaire cette loi. Ce devoir d’empathie, les médecins en prendront leur part, soulagés de passer de pratiques furtives à un acte légalisé. L’objection de conscience ne fera pour les autres que reprendre une réalité bien connue pour les IVG et qui est de bon sens.

Mon point de vue est celui d’un généraliste, pratiquant des IVG, responsable pendant trois ans d’une association d’aide aux soins palliatifs à domicile. La population est mûre, les médecins aussi.

Il reste aux politiques à se mettre au diapason sans se laisser trop influencer par les spécialistes en soins palliatifs, qui ont un regard partiel et parfois partial surie sujet. François Hollande répondant sur ce qui pourrait marquer son quinquennat, comme la loi sur la peine de mort avait marqué celle de François Mitterrand: « Ce pourrait être la loi sur le droit à l’assistance médicalisée en fin de vie. » Qui aura le cran de Simone Veil?

Auteur : PAUL LE MEUT, médecin généraliste en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, membre de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité.

(1) Adoptée le 12 avril 2005, la loi Leonetti visait à éviter les pratiques d’euthanasie tout en empêchant l’acharnement thérapeutique. Le patient peut demander, par le biais de directives anticipées ou via une personne de confiance, l’arrêt de traitements médicaux jugés disproportionnés (à différencier des soins).