Contrairement à une idée reçue, en France le retraité n’est pas un privilégié ni mieux traité que dans d’autres pays de l’Union Européenne. MC
(Extrait d’un article paru dans Alternatives Economiques N° 325)
Le régime de retraite hexagonal n’est pas plus favorable que celui de ses voisins, si l’on tient compte de la durée de cotisation et des conditions d’accès à une retraite à taux plein.
Les retraites sont un chantier permanent. La réforme annoncée par le gouvernement n’est en effet que le énième épisode d’un long feuilleton. Tous les leviers ont d’ores et déjà été actionnés et « la générosité » du système français sérieusement rabotée. Pourtant, malgré l’ampleur des efforts déjà consentis, il faudrait, nous dit-on, aller plus loin.
Pour justifier les sacrifices à venir, on a coutume de citer en exemple la plupart de nos voisins. Les Français auraient les retraités les plus jeunes d’Europe et seraient privilégiés par rapport aux règles en vigueur dans les autres pays. Il est vrai que dans presque tous les pays européens, les systèmes de retraites ont été remodelés pour faire face aux déséquilibres liés à l’allongement de la vie et, plus récemment, aux conséquences de la crise. Et dans certains cas, le tour de vis a été drastique. Mais la France n’est pas pour autant l’eldorado pour retraités que l’on se plaît généralement à dépeindre. Le système y est en réalité nettement plus dur qu’il en a l’air.
62 ans, un leurre
La « retraite à 60 ans » pouvait sembler bien précoce par rapport à ce qui se pratique ailleurs. Et c’est sans doute ce qui a contribué à forger l’idée que les Français étaient mieux lotis que les autres. La réforme de 2010 a cependant changé la donne : l’âge légal de départ à la retraite sera repoussé à 62 ans d’ici à 2017.
Mais hormis en Suède, (…), l’âge de départ reste plus élevé dans les autres pays : 65 ans en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne, en Finlande, en Grèce, aux Pays-Bas et au Portugal. Il est également de 65 ans pour les hommes, mais de 60 ans pour les femmes, au Royaume-Uni, en Pologne et en Autriche. En Italie, les hommes ne peuvent partir qu’à 66 ans et les femmes à 61 ans. En outre, un certain nombre de pays ont prévu de repousser à 67 ans cet âge légal, mais à un horizon qui reste encore lointain : c’est le cas de l’Espagne et du Danemark d’ici à 2027, de l’Allemagne d’ici à 2029 et des Pays-Bas d’ici à 2037. Les Irlandais, quant à eux, passeront à 66 ans en 2028 et le Royaume-Uni à 68 ans d’ici à… 2046.
A première vue, le régime français semble donc toujours plus favorable que les autres. Mais ce constat est trompeur. En France, les 62 ans correspondent à l’âge minimal d’ouverture des droits à la retraite. Or, ce n’est qu’une des composantes du système.
Il faut la mettre en regard d’autres paramètres, notamment la durée de cotisation minimale requise, les conditions d’accès à une retraite à taux plein, l’âge réel de départ ou encore les dispositifs qui permettent de prendre une retraite anticipée. Si l’on tient compte de tous ces éléments, les comparaisons internationales dessinent alors un tableau assez différent.
L’accès au taux plein repoussé
Ainsi en France, l’âge minimal de départ (bientôt 62 ans) ne donne pas droit automatiquement à une pension à taux plein : en 2016, quand la dernière réforme sera pleinement effective, il faudra en effet attendre 67 ans (contre 65,5 ans aujourd’hui) pour pouvoir y prétendre si l’on n’a pas validé la durée de cotisation requise (164 trimestres en 2012 et 166 à terme). Si on part en retraite entre 62 et 67 ans sans avoir tous les trimestres nécessaires, la pension est amputée : une minoration (ou décote) lui est appliquée, qui atteindra 1,25 % par trimestre manquant en 2014. Un mécanisme complexe et peu lisible que ne pratiquent pas toujours nos voisins.
Plusieurs d’entre eux ne font pas de distinction entre âge minimal d’ouverture des droits et âge d’obtention d’une pension complète : Espagne, Pays-Bas, Danemark,Royaume-Uni. l’Allemagne, en revanche, est similaire a la France (…)
Si l’on compare les âges du taux plein, la France se situe donc actuellement au même niveau (65 ans) que l’Allemagne, mais aussi que le Canada, les Etats-Unis, l’Espagne, le Royaume-Uni ou encore le Danemark. Et lorsque les réformes en cours arriveront à leur terme, la France fera partie du club des pays où l’âge de départ à la retraite à taux plein est le plus élevé (67 ans). Et cela, bien avant les autres.
Une durée de cotisation élevée
Autre paramètre à prendre en compte : la durée de cotisation nécessaire pour toucher une pension complète. Elle est particulièrement élevée en France : 41 ans aujourd’hui, 41,5 ans en 2020. Seuls quatre pays font pire : l’Allemagne (…), l’Autriche (…), la Belgique (…) et l’Italie (…).
Dans la plupart des autres pays, les durées de cotisation sont moins élevées et les personnes ayant eu des carrières incomplètes sont donc moins pénalisées qu’en France. (…)
Les mal-aimés du marché du travail
Au-delà de ces bornes d’âges et de la durée de cotisation, il existe dans la plupart des pays un certain nombre de dérogations qui permettent aux salariés de partir à la retraite de manière anticipée. (…) Ces dispositifs sont néanmoins progressivement rognés. Reste que, même s’il tend à augmenter dans plusieurs pays, à commencer par la France, l’âge effectif de retrait du marché du travail est toujours inférieur à l’âge légal de départ en retraite dans la plupart des pays.
La situation des salariés âgés sur le marché du travail reste en effet délicate. Avant d’envisager de durcir encore un peu plus les règles du système de retraite, c’est par là qu’il faudrait commencer : donner aux seniors les moyens de travailler suffisamment longtemps pour toucher une retraite à taux plein. (…)
Laurent Jeanneau – Alternatives Economiques N° 325 Juin 2013