Réduction des déficits et croissance : il faut d’abord semer pour pouvoir récolter
Après plusieurs années de vains efforts visant à réduire les déficits publics, la morosité du climat économique et financier en Europe confère une certaine légitimité aux prises de position qui commencent à se faire entendre dans le monde politique contre l’austérité.
L’échec patent des politiques d’austérité provient d’une conception statique de l’économie qui occulte certains effets dynamiques : quand le budget est déficitaire, il suffirait de réduire les dépenses et/ou d’élever les recettes par l’impôt. Un tel raisonnement néglige les effets négatifs induits par de telles mesures sur l’activité économique et sur le revenu national, et par voie de conséquence, sur les rentrées fiscales. La cuisante expérience européenne atteste qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre de telles mesures sans nuire davantage à la croissance et sans compromettre au bout du compte le rétablissement des comptes publics.
Dans le contexte européen actuel, la réduction des déficits passe par la reprise de la demande globale, mais celle-ci, et c’est le cœur du problème, ne peut provenir du secteur privé tant que sévit l’austérité budgétaire et fiscale. C’est la raison pour laquelle il convient de renverser le raisonnement : dans un contexte dépressif, de même que l’austérité déprime davantage l’activité et gêne ce faisant l’assainissement des comptes publics, la dépense stimule la demande globale, remplit les carnets de commandes et facilite le renflouement des comptes publics grâce aux rentrées fiscales additionnelles. L’économie est ainsi faite qu’il faut d’abord semer pour pouvoir récolter. Pour remplir les caisses de l’État, il faut d’abord que l’économie génère des revenus.
Il convient cependant de ne pas occulter les obstacles que pourraient rencontrer des politiques de relance de la demande si l’on veut être à même de les surmonter. Ce qui retient les États européens de mettre en œuvre de telles politiques, c’est avant tout le fait que, pour stimuler la demande globale et inciter les entreprises à élever la production, il faut accepter au départ un accroissement temporaire du déficit public.
Il faut donc trouver les moyens de rassurer les marchés financiers en attendant la reprise de l’activité et des rentrées fiscales. Une solution existe, sous réserve que certains blocages idéologiques soient surmontés. Elle consiste à impliquer la Banque centrale européenne dans le refinancement des États, comme les États-Unis n’ont pas hésité à le faire depuis le début de la débâcle financière de l’automne 2008.
Il y a un autre obstacle susceptible de refréner les velléités de relances contracycliques nationales. C’est le risque d’en voir les effets amoindris par la « fuite » que représentent les achats effectués auprès des pays partenaires. La relance peut en effet être considérablement affaiblie dans un pays quand le taux de change ne peut être ajusté. Il existe deux moyens de surmonter cet écueil (si l’on écarte une sortie de la zone euro). La solution préconisée par les tenants de la déréglementation et de la flexibilisation des salaires consiste à baisser les coûts salariaux, afin de renforcer la profitabilité de l’offre et de stimuler dans le même temps la demande externe par la compétitivité-prix.
Elle est cependant vouée à l’échec dès lors que les partenaires la mettent en œuvre simultanément, car les gains de compétitivité se neutralisent, ne laissant au bout du compte que des effets dépressifs de la baisse des rémunérations sur la consommation et sur la demande interne. Même si les plus déterminés tirent éventuellement mieux leur épingle du jeu, que peuvent-ils espérer gagner dans un marché global qui s’étiole ?
Il vaudrait mieux encore élever partout les salaires pour stimuler la demande, mais la profitabilité, déjà fortement éprouvée, des petites et moyennes entreprises en pâtirait, entraînant la faillite d’un grand nombre d’entre elles, ce qui compromettrait par ailleurs la capacité de l’offre à suivre l’expansion de la demande et pourrait par conséquent laisser libre cours à de possibles tensions inflationnistes.
La seconde solution consiste à mettre en œuvre des relances concertées dans un groupe de pays capables, par leur taille, d’entraîner l’ensemble. Dans ce cas, en effet, la demande additionnelle pour les produits étrangers est à peu près compensée dans chaque pays par la demande étrangère pour les produits nationaux. De sorte qu’en stimulant sa propre économie, chaque État contribue au succès de la relance mise en œuvre par ses partenaires.
La vigueur de la croissance serait dans ce scénario bien plus propice au rétablissement des comptes publics et à une augmentation des salaires que l’austérité actuelle, laquelle va précisément dans le sens contraire.
Angel Asensio, Maître de conférences à l’université Paris-XIII.
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La vision de capitales européennes
La zone euro s’enlise dans la récession
Le 15 mai, les chiffres de la croissance en Europe sont tombés comme un coup de massue : l’économie de la zone euro recule pour le sixième trimestre consécutif. C’est la plus longue période de baisse de la croissance depuis la création de la monnaie unique, note la presse européenne.
Les dirigeants européens, allemands en particulier, ont longtemps soutenu que faire des économies était la clé pour surmonter la crise. C’est vrai que se serrer la ceinture a permis de réduire les déficits budgétaires mais en même temps, la situation économique s’est détériorée et la frustration sociale a augmenté.Dessin de Michael Kountouris
Avec une croissance de – 0,2% en moyenne au premier trimestre (contre – 0,1% dans l’UE à 27) et des perspectives guère meilleures sur l’ensemble de l’année (- 0,7%), selon Eurostat, le « double dip » tant redouté est devenu réalité. Un résultat que la presse attribue en grande partie aux politiques d’austérité.
Grande Bretagne. « La zone euro bat un nouveau record de durée de la récession », résume le Financial Times en Une. Le quotidien économique note que « ce triste record intervient alors que le chômage touche 12,1% de la population européenne, son niveau le plus élevé jamais atteint. Ces chiffres sont susceptibles d’ajouter une pression sur la BCE pour qu’elle prenne des mesures supplémentaires après avoir baissé les taux d’intérêt ce mois-ci, et pour qu’elle revoie ses prédictions de reprise à plus tard dans l’année. »
Selon le Financial Times, ces chiffres qui confirment que la France est rentrée en récession augmentent la pression sur François Hollande pour qu’il applique des réformes structurelles :
Le gouvernement allemand est de plus en plus préoccupé parce que si François Hollande n’agit pas assez vite, la gestion de la crise de la zone euro va devenir impossible. Berlin considère la plupart des pays en crise comme gérables, même si une nouvelle poussée de fièvre en Italie poserait de sérieux problèmes. Mais si la crise s’étend à la France, Berlin pense que la question de l’existence de l’euro se poserait de nouveau.
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France, Les Echos espèrent que la récession, désormais officielle, va « contraindre la France à se réformer ». Sur la même longueur d’onde que le FT, Jacques Attali, économiste et ancien conseiller de François Mitterrand, appelle François Hollande à « un choc de réformes » :
Qu’il s’agisse de la compétitivité, de la réduction du déficit public, des dossiers européens, François Hollande a fait beaucoup de choses, déjà bien plus que son prédécesseur pendant le même temps. Il aurait fallu aller plus vite. La présidence, c’est comme du ciment à prise rapide : plus on attend et plus il est difficile d’agir. Toutefois, rien de ce qui n’a pas été fait n’est irréversible. Il doit accélérer le tempo.
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Roumanie. Pour România liberă, la récession au sein de la zone euro annonce une année 2013 qui « vire au rouge ». Le quotidien de Bucarest note que la mauvaise performance de l’économie européenne inquiète même outre-Atlantique, où la politique d’austérité est vue comme une des principales causes du marasme. En fait, le monde entier est inquiet de ce que l’Europe soit le seul continent qui n’enregistre pas de croissance, et qui cultive de manière obsessionnelle le leitmotiv de l’assainissement de la dette publique. C’est une politique qui risque de mener les peuples européens au désespoir. […] Il faudrait prendre en compte leur mécontentement.
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Espagne. « La zone euro s’enlise dans la récession », titre pour sa part El Correo, « la plus longue de sa courte histoire » précise le quotidien : Le dilemme auquel doit faire face la zone euro n’est pas seulement de rendre compatible l’assainissement budgétaire aux politiques de stimulation constamment soumises à des contreparties, mais aussi de savoir si les ajustements durs et interminables ne sont pas en train d’étrangler une quelconque perspective de relance.
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Pays-Bas, « qui traversent la pire période économique, à l’exception de la guerre », n’échappent pas à la tendance. Mais ici, « les consommateurs évitent une forte récession », pour reprendre le titre du NRC Handelsblad. Le quotidien explique qu’avec une baisse de 0,1% au premier trimestre 2013 par rapport à la même période en 2012, la récession qui a commencé au troisième trimestre de l’année dernière se poursuit. Le quotidien se base sur les chiffres du Bureau central pour les statistiques publiés le 14 mai. S’ils ne sont pas dramatiques, souligne le NRC, c’est notamment grâce à quelques « points lumineux » :
Le commerce extérieur a bien marché, avec une croissance des exportations de 1% au premier trimestre […] Mais ce qui est extrêmement positif, c’est la consommation des foyers. Elle représente presque la moitié du PIB […] et a augmenté de 0,4 % par rapport au quatrième trimestre 2012. Ca semble peu, mais c’est la première fois depuis 2011 que les consommateurs dépensent un peu plus.
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Tchèque. Les soubresauts de la zone euro ont des répercussions également sur les pays qui n’en font pas partie. Ainsi, en République tchèque, la couronne subit le contre-coup : elle a perdu 6% par rapport à l’euro depuis septembre 2012, note à Prague, Hospodářské noviny. Pour le quotidien économique, le rétrécissement sur un an de l’économie de presque 2 % du PIB est une mauvaise surprise. [De plus], l’économie tchèque a perdu son dernier soutien, les exportations.
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Pologne. « L’Europe suffoque », titre Gazeta Wyborcza qui fait porter la faute sur la politique d’austérité : « Se serrer la ceinture nous conduit à la récession », s’alarme le quotidien alors que le bureau polonais des statistiques a montré que l’économie du pays a progressé de seulement 0,4% au premier trimestre 2013 – le pire résultat de ces quatre dernières années et après six trimestres consécutifs de récession dans la zone euro.
GW cite le chef économiste de chez ING Mark Cliffe qui estime que « si la stratégie actuelle qui consiste à se serrer la ceinture continue, nous verrons plus de pays faire faillite. » Le quotidien note que la situation économique est particulièrement mauvaise dans les pays qui appliquent des mesures d’austérité strictes comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal, Chypre et la Grèce.
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