Fin 2012 s’est tenue la première Journée internationale de l’indépendance médicale (JIIM) (1) (…) Cette journée a permis de rappeler que nombre d’influences s’exerçaient sur la médecine, les soignants, les patients, les autorités sanitaires.
Pour ma part, j’ai tenté de dresser rapidement le constat de près de 10 années d’engagement au sein du Formindep.
Auteur : Philippe Foucras, fondateur du Formindep.
Lorsque, au début des années 1990, j’ai reçu dans mon cabinet médical, à Roubaix, les premiers représentants de commerce de l’industrie, improprement appelés « visiteurs médicaux », j’étais loin de me douter où allait me conduire ce souci qui m’animait de fournir des soins de qualité pour tous, jusqu’aux plus pauvres.
Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour, avec l’aide de la lecture de la revue « Prescrire », comprendre que ces visiteuses accortes et souriantes, qui me voulaient tant de bien, n’avaient qu’un objectif : m’inciter à prescrire leurs produits. Et que, pour cela, elles usaient de tous les moyens possibles.
En premier lieu, le mensonge et la manipulation des données scientifiques, la présentation biaisée des informations. Elles ne faisaient, et c’est de bonne guerre, que bâtir sur l’ignorance crasse des médecins en matière de lecture critique de l’information scientifique. C’est par la suite, au fur et à mesure que je progressais dans la connaissance des influences avec lesquelles 1’industrie maintient le milieu médical sous son joug, que j’ ai compris que cette ignorance était savamment entretenue par les formateurs des médecins, professeurs et autres spécialistes hospitalo-universitaires, « leaders d’opinions » définis comme tels par les firmes qui les repèrent, les recrutent, les maintiennent sous leur douce domination et favorisent leur carrière, et les transforment ainsi en zélés agents de propagande auprès des étudiants, des confrères, des médias, de la société, des autorités sanitaires, des politiques.
C’est en poursuivant bien malgré moi ce voyage au bout de la nuit médicale dans lequel l’industrie plonge l’ensemble du champ sanitaire, que j’ai découvert comment ces « dealers » d’opinions pharmaceutiques irriguent, sous l’impropre vocable d’experts, l’ensemble des autorités sanitaires en France, en Europe et dans le monde, pour décider de la vie des médicaments, au risque, parfois, de celle de ceux qui les prennent. (…) j’ai compris comment les politiques, de droite comme de gauche, et la fonction publique qui les sert étaient proprement capturés, complices souvent bienveillants dans une sorte de « syndrome de Stockholm », d’une industrie devenue maître et seigneur d’un pays qui n’est pas le sien : celui de la santé publique et de l’intérêt général.
Ce constat qui peut sembler excessif est pourtant partagé par beaucoup d’autres personnes plus importantes que moi, universitaires et chercheurs aux États-Unis ou ailleurs, juristes du Conseil d’État en France, politiques en Grande-Bretagne, écrivains comme John Le Carré, etc.
Ce constat n’a rien d’outré, il est même mesuré et simplement lucide, une fois que l’on a commencé à soulever le voile méticuleusement tissé et consciencieusement maintenu pour cacher aux citoyens la mainmise industrielle sur le soin et la santé.
Alors, s’agit-il d’une simple dépendance de la médecine à des influences qui s’exercent certes parfois un peu trop fortement (…).
Il s’agit d’une soumission généralisée. Il s’agit d’une occupation totale du monde de la santé par des intérêts privés qui ne voient en lui qu’une immense source de profit et mettent en œuvre tous les moyens pour le piller, s’y engraisser sans vergogne quitte à ce qu’il en crève. Ce n’est pas leur problème.
Comme pour toute occupation illégitime, j’y ai découvert, durant ces années de combat, ses occupants et son armée, ses collaborateurs, ses négationnistes et, hélas, l’immense masse de ceux qui ne disent rien et attendent que ça passe, et de-ci de-là, ses rares résistants, ceux qui ont ouvert les yeux, qui s’épuisent, sont éliminés du jeu parfois, et tentent de s’organiser comme au Formindep, non pas pour gagner, car la victoire est impossible, mais parce qu’ils ont compris, qu’au-delà de l’enjeu de la survie d’une médecine au seul service de l’homme, il se jouait, comme dans d’autres résistances, quelque chose de l’ordre de la démocratie et des droits, et peut-être de la dignité et de la grandeur de l’homme.
Auteur : Philippe Foucras, fondateur du Formindep.
(1) Vidéo de la journée disponible sur http://www.medocean.re/
sévère mais bien vu