L’anti-démocratique Union Européenne.

  • Vous êtes citoyen européen et vous avez l’impression qu’on ne vous demande pas assez de choses ?
  • Qu’on sous-utilise vos capacités ?
  • Que l’équilibre entre indifférence et démocratie est bancal ?
  • Vous ne pouvez-vous en prendre qu’a vous-mêmes.

Chacun des 5oo millions de citoyens européens est en effet appelé à participer, jusqu’au ler novembre, à la lutte contre l’expérimentation animale dans la recherche et à signer la pétition « Stop vivisection ».

Grâce à ce dispositif européen d’initiative populaire, vous pourriez aussi soutenir la pénalisation des ravages écologiques (les « écocides »), demander la création d’un « revenu minimal pour tous sans conditions » ou exiger que la vitesse de circulation soit limitée à 3o kilomètres/heure dans toutes les villes européennes.

 

Autant de questions sans nul doute importantes mais qui n’empêchent pas un grand nombre d’Européens d’avoir aujourd’hui le sentiment d’être cantonnés sur la voie des véhicules lents pour ne pas gêner le passage quand il s’agit de sujets vraiment essentiels.

La démocratie, avec ses compromis et ses impondérables, n’est décidément pas à la mode en ce moment. Le « dialogue renforcé avec les citoyens », le « renforcement du Parlement européen » et autres pièces maîtresses de la « collection traité de Lisbonne » gisent épars comme autant de babioles sur la grande table de la braderie européenne.

Désormais, ce qui compte, ce sont les décisions d’une troïka (Commission européenne, BCE et FMI) sans visage et le pouvoir d’une Banque centrale européenne (BCE) que le Parlement ne contrôle pas. La promesse d’une Europe « plus démocratique et plus transparente» n’a pas survécu à la crise. Pis encore : on en arrive à douter qu’il soit possible d’en sortir sans rogner certains acquis démocratiques.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Et où cela peut-il nous mener ?

Gêneurs. Le président de Chypre, Nicos Anastasiades, est sans doute l’un des mieux placés pour décrire la nouvelle mécanique européenne. Dans un entretien publié par le quotidien Phileleftheros, il donne une description pour le moins saisissante de ses relations avec les représentants européens : le fameux vendredi 15 mars, le président Anastasiades, des représentants de l’Eurogroupe, de la BCE et du Fonds monétaire international (FMI) se sont réunis en urgence à Bruxelles.

Les discussions pour déterminer le montant de la contribution chypriote au sauvetage des banques nationales se sont poursuivies jusqu’au petit matin. A 3 h 45, Nicos Anastasiades se serait levé en disant : « Vous plongez mon pays dans la faillite, il n’y a rien que je puisse faire. « Jörg Asmussen, membre allemand du directoire de la BCE, aurait alors menacé de bloquer tous les crédits d’urgence à destination des banques chypriotes. La Banque centrale aurait même envisagé, selon Anastasiades, de déclarer Chypre en faillite, puis de l’expulser de la zone euro.

Le bref compte-rendu du président chypriote offre assez de matière pour rédiger une dizaine de thèses universitaires sur les institutions européennes, mais il laisse aussi entendre que le traité de Lisbonne est à peu près aussi digne de foi que la liste des ingrédients d’un plat de lasagnes surgelé. Examinons plus en détail les modifications ad hoc apportées au traité : il est désormais possible de sortir de la zone euro (jusque-là, c’était impossible) ; ce départ peut être contraint (jusque-là, c’était impossible), et cette sortie peut être décrétée par la BCE (qui, jusque-là, était chargée de politique économique et de stabilité des prix).

Joli bilan pour une seule nuit de négociations !

Quelques jours plus tard, alors que le Parlement chypriote venait de rejeter à l’unanimité la proposition de plan de sauvetage, l’Europe est entrée dans une nouvelle phase de démocratisation : afin de ne pas offrir aux députés une nouvelle occasion de rejeter un accord de négociation, ces derniers ont dû obtempérer avant même que le président Anastasiades n’en ait négocié les conditions à Bruxelles. « Les parlementaires des Etats membres auront k davantage de possibilités de participer aux affaires de PUE », avait-on pu lire en d’autres temps à propos du traité de Lisbonne.

Petite correction : à moins qu’ils ne soient des gêneurs. Dans le communiqué de l’Eurogroupe sur le plan de sauvetage chypriote, les auteurs ne parlent que des « autorités chypriotes » avec lesquelles a été conclu cet accord. La formulation sert surtout à cacher le fait que le gouvernement et le Parlement chypriotes sont restés à l’écart de ces négociations, auxquelles n’a participé que le président – et encore de manière très passive.

Martin Schulz, président du Parlement européen, a exprimé ses critiques de manière diplomatique mais claire : « Les négociations n’ont pas été transparentes, elles n’ont pas fait l’objet d’une bonne communication et il leur a manqué un contrôle démocratique. » Autrement dit :le procédé était hautement antidémocratique.

Ce n’est pas la première fois que cela se produit au cours de ces cinq années de crise économique. En cas de situation explosive, le peuple et ses représentants élus sont considérés comme peu fiables et leur participation aux débats importants est vécue, au mieux, comme une perte de temps. Un référendum ? Beaucoup trop risqué. Les résultats des élections ? Certes, il faut les accepter, mais on peut toujours les contourner en nommant des technocrates.

Cela a commencé en Grèce.

En 2.010, le pays a été de facto placé sous curatelle par la troïka. Les élections sont toujours possibles en Grèce – pour faire honneur à cette belle tradition deux fois mil­lénaire, mais les prescriptions du gouvernement, pour l’essentiel, ne sont pas déterminées à Athènes. Les experts de la troïka n’apparaissent nulle part nommément. Personne ne peut dire comment se prennent les décisions auxquelles la Grèce doit se soumettre. Ce n’est pas là l’oeuvre d’habiles et sinistres acteurs antidémocratiques, il s’agit plutôt d’un sentiment insidieux selon lequel le peuple, les élus et la démocratie elle-même sont dépassés en situation de crise. Ce qui va à l’encontre de l’idée qu’en cas de crise c’est la démocratie qui garantit la stabilité.

Qu’en est-il vraiment ?

Certes, l’establishment ne souhaite pas bouleverser tout notre système politique, mais les puissants se sont déjà aménagé un bel espace non démocratique où se réfugier en cas de besoin. La BCE en est le meilleur exemple. Le traité de Lisbonne en a fait un organe de l’UE, mais personne n’a alors songé à la contrôler, tant ses responsabilités de gardienne de la monnaie semblaient éloignées des questions politiques.

Entre-temps, la BCE est devenue l’un des principaux acteurs de la crise de l’euro. La banque a ainsi vu ses compétences élargies à des sujets très politiques, comme la décision d’acheter des emprunts d’Etat sans montant limite. Tout cela sans le moindre amendement au texte du traité. Quoi que la BCE fasse ou ordonne, les citoyens n’ont pas la moindre influence sur ses décisions. Le Parlement européen n’est pas habilité à contrôler les activités de la BCE.

Spectateur.

La situation n’est pas dépourvue d’avantages pour les gouvernements : ceux-ci peuvent appliquer les mesures de la BCE sans en porter la responsabilité. Le chef de la BCE, Mario Draghi, aurait agi « sous couvert d’indépendance », dénonce l’hebdomadaire allemand Die Zeit. Si le Parlement européen se félicite de pouvoir désormais refuser les propositions de budget des Etats et des gouvernements, pour ce qui est des grands plans de sauvetage, il se contente toujours du rôle de spectateur. Il n’en reste pas moins critique : Othmar Karas, vice-président du Parlement européen et chef de la délégation autrichienne chrétienne-démocrate (OCP), exige par exemple que « tout ce qui relève de la monnaie unique soit communautaire ». De son côté, son collègue social-démocrate Hannes Swoboda (SPO) regrette qu’il ne soit « malheureusement guère réaliste de vouloir étendre la démocratie tout en étant plus efficaces dans la gestion de la crise ».

La démocratie fonctionne toutefois à merveille pour la limitation de vitesse à 3o Kilomètres/heure. Si l’initiative citoyenne européenne visant à l’exiger dans toutes les villes européennes était adoptée, les communes resteraient tout de même libres de fixer elles-mêmes leur limite de vitesse. Les Grecs ne peuvent peut-être pas décider du niveau de leurs retraites et les Chypriotes n’ont peut-être pas voix au chapitre quand on menace de confisquer leur épargne, mais ils peuvent toujours s’engager pour fixer des limitations de vitesse à l’échelle européenne et occuper leurs conseils municipaux avec ces graves questions. Vive la démocratie !

Robert Treichler, Profit (extraits) Vienne