Vive la Laïcité, bon dieu !

Et revoilà le voile…

L’annulation par la Cour de cassation du licenciement d’une employée de la crèche Baby-Loup portant le foulard relance un débat piégé.

Le 19 mars, la Cour de cassation annulait le licenciement d’une employée musulmane de la crèche associative Baby-Loup qui refusait d’enlever son foulard sur son lieu de travail. Une décision abondamment commentée, d’autant que cette même cour avait confirmé par ailleurs le licenciement, pour le même motif, d’une employée de la Caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis.

La différence ?

L’une est une entreprise privée, l’autre chargée d’un service public. Dans le premier cas, l’interdiction par le code du travail des « discriminations à raison des mœurs, des opinions ou de la religion de salariés » prime. Pour la seconde affaire, c’est l’obligation de neutralité des agents de service public, remontant à la loi de 1905, qui importe. Pour rappel, la loi française a également interdit les signes religieux « ostentatoires » à l’école publique (2004) et le port de la burqa en public (2011). Le débat sur le voile islamique n’est pas neuf, mais il est toujours aussi inflammable.

Une raison pour François Hollande de s’emparer de l’affaire Baby-Loup. Lors de son intervention sur France 2 le 28 mars, le chef de l’État jugeait que « des règles » devaient être posées, au moins dans le secteur de la petite enfance, partiellement financé par l’argent public.

Fait divers, débat, projet de loi : l’enchaînement médiatique n’est pas nouveau, l’annonce politique non plus.

Le Président n’a peut-être pas noté qu’une proposition de loi en ce sens a été déposée en janvier à l’Assemblée. Et ce texte de députés PRG n’est qu’une vague copie d’un autre, voté un an plus tôt au Sénat, qui n’est jamais passé à l’Assemblée. Et pour cause : cette proposition de loi qui, déjà, visait à « étendre l’obligation de neutralité » aux crèches, centres de loisirs et assistants maternels à domicile avait déclenché un tollé. Les sénateurs socialistes avaient été accusés de glisser vers une « islamophobie d’État » en s’appuyant sur des ressorts de peur prisés par la droite de Nicolas Sarkozy.

Le sociologue et historien Jean Baubérot estimait à l’époque que nombre de politiciens confondaient « l’affaire privée (1) » que doit être la religion dans un État laïc et la « sphère privée » à laquelle on veut la cantonner. Un glissement « liberticide » selon lui. Le temps a passé, le débat n’a pas changé.

Lena Bjurstrom – Politis N° 1248

(1)     Ci-dessous l’article de Erwan Manac’h daté du 13 février 2012

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Une partie de la gauche mal à l’aise avec l’islam ?

Une proposition de loi imposant la « neutralité » religieuse aux assistantes maternelles met le PS dans l’embarras. Les opposants au texte, réunis le 9 février à Bagnolet, se méfient aussi des positions affichées par les autres forces de gauche.

À gauche, les dernières sorties de Claude Guéant ont fait l’unanimité contre elles. PS, Front de Gauche et EELV ont dénoncé sans ambiguïté une stigmatisation de l’islam et le franchissement d’une nouvelle ligne après les nombreux « dérapages » des cadres de l’UMP.

Le Parti socialiste est pourtant aujourd’hui taxé d’islamophobie par les opposants à une proposition de loi votée au Sénat le 17 janvier qui obligerait les nounous à indiquer dans leur contrat de travail si elles ne respectent pas la « neutralité » religieuse. La proposition émanant d’une sénatrice du Parti radical de gauche, Françoise Laborde, votée par les sénateurs socialistes, a soulevé un mouvement d’indignation contre une nouvelle « discrimination des femmes voilées » qui égratigne au passage le Front de gauche et EELV.

Réunis le 9 février au Cin’Hoche de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) derrière le collectif Mamans toutes égales, de nombreux militants et intellectuels ont dénoncé le « silence complice » des forces de gauche : « La gauche n’a pas terminé son travail de déconstruction de la pensée des Lumières pour en garder la dimension égalitaire, estime le sociologue et militant Saïd Bouamama, qui devant la foule appelle à « ne pas réfréner [la] colère : Tant que nous n’aurons pas politiquement tordu le coup à ce dogmatisme, rien ne changera. »

C’est aussi le constat d’Alima Boumediene. Après quinze ans d’engagement chez les Verts dont sept comme sénatrice, elle ne « croit plus dans les partis » : « Ils ont trop d’enjeux électoraux et financiers, ils ont abandonné nos combats et nos valeurs. Nous devons lutter par tous les moyens, juridiques et politiques », estime l’ancienne parlementaire.

Embarras au PS

Benoît Hamon, s’est voulu rassurant (25 janvier 2012), en affirmant que les socialistes ne voteraient pas l’article en question à l’Assemblée. « J’en ai la certitude, cette loi ne verra jamais le jour, insiste Razzy Hammadi, secrétaire national du Parti socialiste aux services publics, contacté par Politis.fr. Elle répond à un problème qui n’existe pas : 99,9 % des Français de confession musulmane acceptent et défendent les principes laïques. Ce ne sont pas une dizaine de sénateurs réunis en cénacle qui vont nous imposer leur vision. »

Dans son programme, François Hollande propose aussi d’inscrire la laïcité dans l’article 1er de la Constitution. Un geste fort et un « débat national » qui doivent permettre de « réaffirmer l’identité fondamentale de la nation […] loin de l’atmosphère nauséabonde et l’idée de laïcité dévoyée » de ces cinq dernières années, estime Razzy Hammadi.

Ces prises de position n’apaisent pas les associations musulmanes et les opposants au texte qui se succèdent sur l’estrade, jeudi 9 février, devant environ trois cents personnes, remontant jusqu’en 2004 et la loi sur les signes religieux à l’école pour dénoncer une « islamophobie d’État ». « Il y a certaines voix isolées qui prennent leurs distances au sein du PS, estime Rokhaya Diallo, chroniqueuse et cofondatrice des Indivisibles, mais j’ai surtout le sentiment que les socialistes rêvent que la campagne ne vienne pas sur ces questions-là, car ils ne sont pas à l’aise. Ils confondent laïcité et athéisme, neutralité et lutte contre la présence visible de l’islam. »

« Laïcards » au Front de gauche

Le Front de gauche s’engage quant à lui à « réaffirmer » la laïcité sans « qu’aucune religion ne soit mise à l’index » , axant son discours sur la nécessité de mettre fin aux financements de lieux de culte et écoles privées confessionnelles. « Si nous voulons que toutes les communautés ne revendiquent pas un traitement particulier, il faut arrêter de financer les cultes », estime Pascale Le Néouannic, secrétaire nationale du Parti de gauche en charge de la laïcité (2). La conseillère régionale Île-de-France se dit favorable au principe de « neutralité » chez les nounous. Elle se reconnaît en revanche dans la position des sénateurs communistes qui se sont abstenus lors du vote du texte, pour dénoncer un amendement socialiste qui maintiendrait le financement aux crèches confessionnelles. La question de la neutralité des nounous « est un chiffon rouge, juge-t-elle. Le vrai problème, c’est le financement des cultes. Cela fait vingt ans qu’une partie de la gauche a abandonné le combat laïque ».

Ces positions sont jugées « laïcardes » dans les allées bondées du « Cin’Hoche » de Bagnolet, où les jugements sont sévères contre une gauche « traversée par sa vision néocoloniale » qui a « tordu les conceptions » des Français sur l’islam.

Grincements à EELV

Avec sa proposition d’un jour férié pour Kippour et l’Aïd-el-Kebir et ses équipes bigarrées, EELV a meilleure presse dans les rangs du meeting « pour la laïcité et contre l’islamophobie ». Esther Benbassa, sénatrice EELV, est d’ailleurs présente et souhaite témoigner de ses difficultés à faire comprendre le risque de « discrimination » auquel seront exposées, selon elle, les nounous voilées en cas d’adoption de la loi. « Nous n’étions que deux à voter contre le texte », regrette la sénatrice.

Mais localement, quelques agissements dans les rangs d’EELV sont allés à contre-courant de cette ligne : à Lyon, une adjointe écologiste à la mairie a ainsi demandé à une femme voilée de retirer son foulard pour célébrer son mariage en juin 2011.

« Les musulmans se demandent pour qui voter, regrette une militante grenobloise qui se bat avec d’autres mères de famille voilées interdites d’accompagnement des sorties scolaires. À Lyon, la Coordination contre le racisme et l’islamophobie, appelle même ses concitoyens à glisser dans l’urne un bulletin nul portant la mention « oui à la laïcité » le jour de la présidentielle.

Invisibilité religieuse

Pour le sociologue et historien Jean Baubérot, la présence visible de l’islam plonge la gauche dans un malaise, car la « visibilité religieuse » avait disparu depuis les années 1960-1970 : « Quand les prêtres ont abandonné leurs soutanes, cela n’avait rien à voir avec la laïcité, c’était pour répondre au concile Vatican 2, estime pourtant le chercheur de l’EHESS qui a pris part à la contestation contre la proposition de loi sur la « neutralité » des assistantes maternelles. La loi de 1905 impose la neutralité de la puissance publique afin que la religion reste une « affaire privée ». Une démarche personnelle et volontaire. Mais on assiste aujourd’hui à un glissement de la notion d’ »affaire privée » à celle de « sphère privée ». La religion devrait être cantonnée [hors de l’espace public] au nom de la laïcité. C’est un glissement liberticide et contraire à la loi de 1905. »

Des propositions doivent prochainement être envoyées aux différents candidats par le collectif Mamans toutes égales, qui publiera leurs éventuelles réponses. En guise d’alternative, le projet de mouvement politique autonome issu du Forum social des quartiers populaires doit aussi prendre forme avec – espère-t-on dans la salle – une cinquantaine de candidats aux prochaines élections législatives.

Ajout le 14 février 2012 à 10 h : la citation de Jean Baubérot a été reformulée.

(2) Auteur du « Petit manuel de laïcité à usage citoyen », Bruno Leprince.

Une réflexion sur “Vive la Laïcité, bon dieu !

  1. aucunsenspolitique 15/04/2013 / 16:59

    La laïcité, c’est en quelque sorte l’auberge espagnole : chacun y apporte sa propre définition. D’où bien des malentendus. Le constat de Jean Baubérot sur un « glissement de la notion d’ »affaire privée » à celle de « sphère privée » » me semble pertinent.

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