Les conséquences pour les chômeurs. Cette sous-traitance n’augmente pas les chances de trouver un travail et répond mal aux besoins des chômeurs.
Explications.
Les pratiques parfois douteuses des sociétés privées prestataires de Pôle emploi :
« Cette sous-traitance a énormément augmenté depuis la fusion », s’indigne Joseph Roman, membre du bureau national du SNU Pôle emploi. En mars 2009, Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’État à l’Emploi, avait annoncé que l’accompagnement de 320 000 demandeurs d’emploi sur 2 ans allait être confié à des organismes de placement privés (OPP). Une annonce qui s’est rapidement traduite dans les faits pour les agents de Pôle emploi.
« Avant de prendre ma retraite, je travaillais au suivi des conventions de reclassement personnalisé, l’essentiel de notre travail consistait à dispatcher les demandeurs d’emploi entre les différents prestataires », raconte Rose-Marie LévyPéchalat, animatrice du site Recours-radiations.
Risque de radiation.
Une situation génératrice de souffrance pour le personnel mais aussi pour le public. « Personne n’avait le choix, ni les agents à qui des instructions strictes avaient été fournies, ni les demandeurs d’emploi, qui ne pouvaient pas refuser cet accompagnement au risque d’être radiés », poursuit-elle.
En 2011, Pôle emploi fait machine arrière et annonce une baisse de deux tiers du volume des contrats offerts au privé. « Cette diminution drastique concerne l’ensemble des budgets alloués à l’emploi, 1 800 postes vont être supprimés. Pôle emploi », explique Joseph Roman. Reste que, sur le terrain, de nombreux demandeurs d’emploi continuent à être orientés vers des prestations d’accompagnement à la recherche d’emploi par des conseillers surchargés.« Nous avons été ainsi contactés par un homme de 57 ans qui souhaitait entreprendre une formation. Son conseiller l’a malgré tout inscrit à un accompagnement à la recherche d’emploi qui dure 9 mois. Cela le rend malade, car son projet n’est pas du tout pris en compte », regrette Rose-Marie Lévy-Péchalat.
Pressions.
Pas question pour le gouvernement et pour la direction de Pôle emploi de s’interroger sur la réussite de ce recours au privé. « Pourtant, toutes les enquêtes indépendantes montrent que Pôle emploi fait au moins aussi hien que les OPP », souligne Joseph Roman.
Ces sociétés privées sont rémunérées en fonction de leurs résultats, elles touchent 50 % de la somme allouée pour chaque accompagnement à l’entrée du demandeur d’emploi dans le dispositif, 25 % quand il trouve un emploi et 25% si la personne est encore en emploi 6 mois après.
La somme de départ reste à l’OPP si le chômeur signe un papier d’abandon de contrat d’accompagnement. Il est alors possible de commencer un nouveau contrat. D’où la pression éventuelle mise sur les chômeurs perçus comme difficilement employables.
Cette course aux résultats s’effectue souvent au détriment du projet personnalisé. « Obtenir une formation dans le cadre d’un suivi par un OPP est mission impossible. Non seulement les salariés de ces entreprises connaissent très mal l’univers de la formation mais ces accompagnements sont plus longs et donc moins rentables », dénonce Rose-Marie Lévy-Péchalat. En effet, la personne doit souvent attendre avant qu’une session commence. En outre, le temps de formation recule d’autant la reprise d’emploi et donc le versement du reliquat. « Pour fuir ce type d’accompagnement, certains demandeurs d’emploi qui nous contactent envisagent même de se désinscrire provisoirement. Mais ce n’est pas une solution car, à leur réinscription, ils risquent d’être à nouveau orientés vers ce type de prestations. La seule solution est de s’adresser au directeur de l’agence pour faire valoir son projet personnalisé. » Et d’espérer avoir gain de cause…
MÉLANIE MERMOZ
Commentaires
Il manque surtout une information le cout de ces prestataires
J’ai eu la « chance » de bénéficier de ce type d’accompagnement un vrai désastre, coût 1850 €, j’ai une copie de la lettre de commande me concernant.
Commentaire posté par blein martin il y a 4 jours à 22h48
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Des chômeurs livrés au privé
Article paru dans Politis n° 1197
L’efficacité des organismes privés de placement des demandeurs d’emploi est de plus en plus contestée. À Pôle emploi, face à cela, on tente de maintenir un suivi sérieux des dossiers.
Témoignages.
L’accueil y est chaleureux.
Les locaux sont colorés.
Café ou thé ?
L’angoisse d’être chômeur s’en va.
Foutaises !
La rencontre avec le salarié, au sourire hypocrite malgré lui, te rappelle ta situation précaire. Son discours débité rapidement te laisse sans voix. J’ai mal vécu cet accompagnement », témoigne Christophe [1], 40 ans, serveur dans le restaurant d’un hôtel, orienté par Pôle emploi dans un organisme privé de placement de chômeurs en Île-de-France.
Le résultat est souvent « désastreux pour le privé comme pour le public », ajoute Sylvette Uzan-Chomat, membre du bureau national du SNU-FSU et conseillère à Pôle emploi. Avec le collectif Autres Chiffres du chômage (ACDC), cette syndicaliste a dressé un bilan des organismes privés de placement de chômeurs [2], qui révèle une « efficacité moindre comparée au service public de l’emploi ».
Depuis 2008, à la suite de la fusion entre l’ANPE et les Assedic, Pôle emploi « a vite été débordé », explique Sylvette Uzan-Chomat. Puis la crise économique et sociale s’est installée, le chiffre du chômage a gonflé, jusqu’à atteindre 5 millions de demandeurs d’emploi. La « solution miracle » trouvée par le gouvernement a été de sous-traiter avec le privé pour soulager Pôle emploi, ce que déplore la syndicaliste du SNU, qui y voit un désengagement de l’État au profit d’une logique libérale du placement des chômeurs.
Ainsi, de 2009 à 2011, plus de 350 000 chômeurs ont eu recours à des organismes privés, tels qu’Ingeus ou Adecco, indique la note du collectif ACDC. « Je me suis senti trahi par Pôle emploi. Cela faisait trois ans que j’y allais. Un jour, j’ai reçu une convocation qui m’expliquait que Pôle emploi avait donné mon dossier à un organisme privé. Dorénavant, je devais traiter avec lui », raconte Christophe. En réalité, selon Sylvette Uzan-Chomat, c’est une « collaboration forcée », résultant des pressions subies par les salariés de Pôle emploi pour atteindre des « quotas ».
« On passe du temps avec ces personnes. On entre dans leur vie privée. C’est difficile d’abandonner des dossiers. Je peux comprendre leur frustration », se plaint Sonia, salariée de Pôle emploi à Champigny-sur-Marne. Les opérateurs privés de placement de chômeurs font du chiffre. Les organismes privés, vus comme « des machines à fric », travaillent dans une logique de marché, explique Sylvette Uzan-Chomat. Ils placent leurs chômeurs en CDD car c’est plus facile. Ils privilégient les plus flexibles, jeunes, femmes, diplômés… « Ces organismes procèdent à un écrémage des demandeurs d’emploi puisque leurs rémunérations, versées par Pôle emploi, sont partiellement indexées sur leurs résultats en matière de retour à l’emploi », craint la syndicaliste.
Le secteur privé reçoit environ 2 000 euros par client ayant retrouvé un emploi dans un délai de 3 à 6 mois. Ce qui explique que les retours à l’emploi en CDD sont plus nombreux dans le privé (35 %) que dans le public (33 %), précise la note du collectif ACDC. « On ne me propose que des CDD. Je ne peux pas me projeter dans l’avenir. À chaque fin de contrat, je reviens à la case départ. C’est infernal », intervient Patrick, étudiant en histoire, placé dans un organisme privé.
Toujours pour Sylvette Uzan-Chomat, « les conseillers du privé sont en CDD et sans grande expérience. Ils exercent un travail pénible dû à un turn-over incessant ». Or, selon le rapport européen sur les politiques publiques de l’emploi [3], « le succès de l’accompagnement tient à la pratique du conseiller, c’est-à-dire à sa bonne connaissance du bassin d’emploi local ; à sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le chômeur ». « Une manière de faire que tente de préserver Pôle emploi », précise Joëlle Moreau, responsable d’Agir ensemble contre le chômage (AC !) en Gironde.
« À Pôle emploi, les salariés sont en CDI et ont une formation. Ils connaissent bien les entreprises locales », ajoute cette militante. Le service public de l’emploi joue, malgré le manque de moyens, la carte de la stabilité professionnelle face au privé qui précarise. « Il est fondamental d’appliquer un suivi social au fil de l’évolution de carrière du chômeur. », précise Sylvette Uzan-Chomat. Tiffany Herauto, jeune mère de famille qui cherche une formation de secrétaire depuis trois mois à Pôle emploi, confirme : « Une conseillère me suit depuis le début.
En un mois, elle m’a proposé trois offres d’emploi. Je m’entretiens avec elle au téléphone ou sur place. En revanche, il faut toujours répondre présent, au risque d’être radié de Pôle emploi. » Le secteur privé est donc pointé du doigt pour ses résultats médiocres. Pour autant, Pôle emploi n’est pas le paradis, loin de là, n’arrivant pas à faire face à la « souffrance financière et sociale extrême des chômeurs, causée par une politique d’austérité qui détériore également le service public en général ».
[1] Les prénoms des personnes citées ont été modifiés.
[2] Note n° 9 du collectif ACDC, février 2012.
[3] Rapport d’information n° 4098, déposé au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : performances comparées des politiques sociales en Europe.