Pensions, dépendance, fin de vie…
Le gouvernement va s’attaquer à trois dossiers sensibles ces prochains mois
A force de répéter que la jeunesse serait » la grande priorité » de ses années passées à l’Elysée, François Hollande est presque parvenu à faire oublier les seniors. C’en est désormais terminé. Absents des discours de campagne du candidat socialiste et peu concernés par les premiers chantiers législatifs du quinquennat, les seniors occuperont une place importante dans l’agenda gouvernemental des prochains mois.
Trois dossiers politiquement très complexes pour ne pas dire explosifs devraient les concerner : celui des retraites, de la fin de vie et de la dépendance.
Plus que 2012 et davantage que les suivantes, 2013 devrait donc être, à l’échelle de la présidence Hollande, la grande année de ceux que l’âge éloigne le plus de cette » génération qui vient » si souvent célébrée par le chef de l’Etat.
Ce sont eux qui, au premier chef, seront attentifs aux travaux de la commission pour l’avenir des retraites, installée mercredi 27 février par Jean-Marc Ayrault et dont les conclusions sont attendues pour juin. Eux qui, par la force des choses, suivront avec un regard particulier les débats suscités par le projet de loi sur la fin de vie, prévu lui aussi pour avant l’été. Eux enfin qui, plus que d’autres, se sentiront concernés par la loi sur la dépendance, que le gouvernement souhaite faire adopter d’ici à la fin de l’année.
Comme toutes les réformes ambitieuses, celles-ci ne pourront toutefois se faire qu’avec l’adhésion des premiers intéressés. Or, là est tout l’enjeu pour le gouvernement : les seniors ne sont pas l’électorat traditionnel de la gauche. Ils constituent au contraire la tranche d’âge qui vote le plus massivement à droite.
Le 6 mai 2012, au second tour de l’élection présidentielle, » 53 % des plus de 60 ans ont voté pour Nicolas Sarkozy et 47 % pour François Hollande « , rappelle ainsi le politologue Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS et auteur d’une note sur » Le vote des seniors « , publiée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).
Face à cet électorat, le président de la République part donc avec un handicap. Celui-ci, cependant, n’est peut-être pas aussi insurmontable qu’il y paraît, et ce pour deux raisons. La première est liée à la personnalité même du chef de l’Etat.
Durant la campagne électorale, François Hollande a bénéficié d’intentions de vote singulièrement élevées, pour un candidat socialiste, de la part des plus âgés. Au moment du scrutin, cela n’a pas empêché ces derniers de voter majoritairement à droite. Il n’en demeure pas moins que François Hollande a fait bien mieux auprès de cet électorat que Ségolène Royal cinq ans plus tôt.
Au second tour de 2012, il n’a obtenu que deux points de moins chez les retraités que chez l’ensemble des électeurs.
En 2007, l’écart était de six points, ce qui a pu faire dire à juste titre que Nicolas Sarkozy avait largement dû sa victoire de l’époque au soutien dont il avait bénéficié de la part des électeurs les plus âgés.
La seconde raison pour laquelle François Hollande peut garder espoir en cet électorat tient à l’évolution même de celui-ci. Comme le rappelle M. Rouban, les comportements électoraux ne sont pas seulement une affaire d’âge, mais aussi de génération.
Dès lors, si un âge avancé conduit naturellement à se montrer plus sensible à certaines politiques traditionnellement promues par la droite, notamment en matière de fiscalité du patrimoine, l’entrée progressive des baby-boomers dans la catégorie des seniors offre à la gauche une opportunité inédite.
Née après la seconde guerre mondiale et marquée par l’héritage de Mai 68, cette génération a contribué à la victoire de François Mitterrand en 1981 et demeure, dès lors, moins structurellement arrimée à la droite que ne l’était la précédente, en raison notamment de son rapport beaucoup plus distancé à la religion, qui demeure sur le long terme l’un des principaux déterminants du vote.
Pour le chef de l’Etat, ces jeunes seniors constituent dès lors un électorat stratégique.
En cela ce n’est pas un hasard si, dès son élection, l’une de ses toutes premières mesures fut la publication d’un décret permettant le départ à la retraite à 60 ans des travailleurs aux carrières les plus longues.
Pas un hasard, non plus, si les jeunes seniors sont destinés à bénéficier du contrat de génération, l’une des mesures emblématiques du candidat socialiste à l’élection présidentielle, dont l’entrée en vigueur est prévue pour les prochaines semaines. Aujourd’hui, François Hollande sait qu’il joue gros avec les retraités.
En raison du vieillissement de la population, leur poids relatif dans l’électorat augmente d’année en année. Or ce sont des citoyens actifs, chez lesquels l’abstention est bien moindre qu’ailleurs : au premier tour de l’élection présidentielle, 91 % des plus de 60 ans ont voté, soit dix points de plus que la moyenne nationale.
Des citoyens par ailleurs très peu portés sur les partis d’extrême droite ou d’extrême gauche : dans une période de crise propice aux populismes, le chef de l’Etat ne peut négliger un tel pôle de stabilité.
En prévoyant de faire adopter la loi sur la dépendance à la veille des élections municipales de 2014, le gouvernement espère sans doute retrouver auprès des plus de 60 ans un crédit que la réforme des retraites risque d’écorner. Cela ne sera sans doute pas suffisant pour faire basculer à gauche cette tranche d’âge qui constitue un gros tiers de l’électorat.
Mais François Hollande n’en attend pas tant : éviter un report massif de ces électeurs vers la droite, comme y était parvenu Nicolas Sarkozy en 2007, serait déjà pour lui un succès
Wieder Thomas, Le Monde du 01 mars 2013 Permalien