Newsan est connue en Argentine pour fabriquer des écrans de télévision plasma pour Sanyo et des caméras vidéo NC. Mais en 2011 cette entreprise d’électronique a opéré un virage surprenant : elle s’est lancée dans la pêche, la congélation et l’exportation de crevettes et de colin.
Explications :
Cette décision n’avait rien à voir avec une stratégie de reconversion : le but était simplement de s’adapter aux politiques macroéconomiques de moins en moins orthodoxes de l’Argentine – et qui, pour de nombreux chefs d’entreprise, tournent au casse-tête. Pour enrayer la fuite des capitaux et protéger l’industrie locale, le gouvernement de la présidente Cristina Kirchner a mis en place en 2011une nouvelle politique qui oblige les entreprises importatrices (1) à équilibrer leur propre balance commerciale. C’est ainsi que Newsan exporte désormais 3 600 tonnes de produits de la mer par an en Europe, en Russie, en Chine et ailleurs afin de pouvoir importer les composants électroniques nécessaires à son activité principale. Le groupe envisage également d’exporter des agrocarburants.
Certains estiment que ce type de mesures à court terme nuisent à l’efficacité des entreprises et que les nouveaux emplois créés risquent de disparaître si le gouvernement change de stratégie. Selon une source proche du gouvernement, les responsables argentins s’interrogent d’ailleurs sur la pérennité du système. Les entreprises font preuve d’imagination pour se conformer à ces règles. Le fabricant de pneus Pirelli exporte du miel, la filiale argentine de BMW exporte du cuir, du jus de raisin et des tonnes de riz afin de pouvoir importer des voitures et des motos. « Le riz n’a rien à voir avec BMW mais il a bien fallu trouver une solution », explique Dan Christian Menges, porte-parole du groupe en Argentine.
15 % à 20 % du vin qui quitte le pays est vendu par des industriels
Ces mesures renouent avec une forme de protectionnisme largement pratiquée en Amérique latine dans les années 1960 et 197o, avant d’être abandonnée au profit du libre-échange, perçu comme un moteur de croissance. Aujourd’hui, les pays soutiennent leurs industries différemment, en les subventionnant, par exemple. Cristina Kirchner a ressuscité ces politiques d’inspiration péroniste pour relancer une économie affaiblie. Le PIB a augmenté de 0,7 % au troisième trimestre 2012 (par rapport à la même période de l’année précédente), et le taux d’inflation est estimé par des économistes indépendants à 0,5 % (2).
« Cette politique a des effets positifs à court terme sur la rentabilité [commerciale] et l’emploi », explique Daniel Hoyos, directeur du département d’économie de l’Université nationale du centre de la province de Buenos Aires. « Mais ces nouvelles activités (exportatrices) sont créées pour profiter des règles. Si les règles changent, ces activités disparaîtront. »
Cette politique est également liée au contrôle des changes mis en place en Argentine, qui limite les achats de dollars et autres devises étrangères. Les réserves en dollars du pays ont en effet baissé : de nombreux Argentins, inquiets du ralentissement de l’économie, ont acheté des billets verts pour les mettre à l’abri à l’étranger.
Contraindre les entreprises à exporter afin d’engranger des dollars pour payer les importations devrait en théorie permettre de freiner la fuite des dollars. Mais, dans les faits, cela ne marche pas vraiment. L’année dernière, les Argentins ont retiré des banques l’équivalent de près de 7 milliards de dollars en devises étrangères. Le flot semble toutefois se ralentir.
Cristina Kirchner et ses ministres ont publiquement affirmé que cette politique de « commerce administré » était nécessaire pour protéger les emplois argentins des importations bon marché. Certains membres du gouvernement ont toutefois accusé les puissances mondiales d’essayer de se débarrasser de leurs excédents sur le marché argentin pour compenser la faiblesse de la demande sur leur marché intérieur.
Au début, cette politique a produit un effet très positif sur la balance commerciale du pays, effet qui semble s’essouffler. Cette balance s’est soldée par un excédent de 585 millions de dollars en octobre 2012, soit moitié moins qu’un an auparavant, et de 634 millions en novembre (+ 74 %). (3)
Ces politiques commerciales ont suscité une vague de protestations de la part des membres de l’Organisation mondiale du commerce (4).
Aux termes de nombreux accords d’import-export, les importateurs versent une commission d’environ 10 % à l’exportateur avec lequel ils s’associent, ce qui leur permet de devenir l’exportateur officiel de la marchandise. Le dynamisme du secteur viticole argentin, qui a exporté pour 865 millions de dollars de novembre 2011 à octobre 2012, en fait un partenaire de choix. Il n’y a pas de données officielles mais, selon Javier Merino, directeur de la société d’analyse et de conseil Mea del Vinci, 15 à 20 % du vin qui quitte le pays est exporté par des fabricants de produits électroniques, des fournisseurs de pièces automobiles et autres industriels. « Ces accords fonctionnent très bien, assure-t-il, Ils satisfont les deux parties. »
Certains économistes soulignent toutefois que les importateurs supportent ainsi des coûts commerciaux et administratifs supplémentaires. « C’est une sorte d’impôt sur les importations qui engendre en outre beaucoup d’inefficacité », explique José Antonio Ocampo, professeur de relations internationales à l’université Columbia (à New-York). « Il n’est pas souhaitable qu’une entreprise qui n’est pas spécialisée dans le riz exporte du riz »
Sara Schaefer Munoz – The Wall Street Journal – New York – Source Courrier international N° 1163
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Notes
- Dans certains secteurs
- Alors qu’il est officiellement de 10,8 %.
- En décembre, l’excédent a atteint 529 milliards de dollars (+ 60,8 %), et sur l’ensemble de l’année, il a augmenté de 27 %.
- Les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et le Mexique ont porté plainte contre les restrictions qui pénalisent leurs exportations. De son côté, l’Argentine a déposé une plainte contre les États-Unis au sujet de la viande bovine, et contre l’UE, sur le biodiesel.