En 2012, ils ont encore squatté les couvertures des journaux. A la barbe des politiques, au nez des experts, les sondages ont battu de nouveaux records de publication.
Bien sûr, une fois de plus, des torrents de critiques se sont abattus sur les sondeurs, leurs méthodes, leur tendance à s’approprier la voix du peuple. Mais nul coup d’Etat n’a été nécessaire. C’est sur un champ de ruines idéologique que « la république sondagière » a élevé son trône, soutenue par une collusion d’intérêts momentanément convergents. Groupes de pression, journalistes, politiques et citoyens : tous sont les dealers de ce nouvel opium du peuple qu’ils dénoncent par ailleurs.
Cette information fascine les journalistes
La marchandise ne coûte pas cher. Quelques centaines d’euros pour une question Internet ; quelques milliers pour un sondage par téléphone, une broutille pour des lobbys soucieux de présenter leur combat comme celui de la majorité silencieuse. Pour ou contre le mariage pour tous, le droit de vote des étrangers… Afin d’emporter l’opinion, chacun y va de son sondage.
Peu importe si elles divergent parfois, ces enquêtes résonnent dans les médias. Fascinés par cette information gratuite et simple – en apparence -, les journalistes déroulent le tapis rouge aux sondages, faisant leur Une de la fulgurante ascension d’un homme politique… qui vient de gagner 2 points dans le dernier baromètre. A leur décharge, les journalistes nourrissent des consommateurs insatiables. Revenus de toute idéologie, les Français ont troqué l’habit de citoyen engagé contre celui de commentateur distancié. Leur passion pour les sondages, bases de nombre de débats, est à la hauteur de leur défiance envers les politiques.
Ironie de l’histoire, c’est en voulant lutter contre cette défiance que les mêmes politiques ont érigé les sondages en programme, argument et facteur clef de leur réussite. Ils ont abdiqué toute conviction au profit d’un pragmatisme utile pour conquérir le pouvoir, mais ravageur quand il s’agit de l’exercer. Les partis y perdent potentiellement leur rôle d’éclaireur. Car reprendre à son compte une série de préoccupations construit-il un avenir ? La peur du déclin qui hante nos compatriotes, avec sa cohorte de réflexes identitaires et à court terme, peut-elle accoucher de réponses justes et efficaces ? La responsabilité des politiques est, bien sûr, de sonder intimement le réel, mais pour mieux le transcender !
Une crise qui touche à la vie politique
L’avènement de la république sondagière n’est que le symptôme d’une crise qui mine les fondations de la vie politique. Le sondage est un outil indispensable. Il ne saurait devenir une boussole sans contrevenir au principe fondamental de notre démocratie : remettre, le temps d’un mandat, sa souveraineté entre les mains d’un élu qui trace la route. A condition que ce dernier ait bien un chemin en tête…
Mayeul L’Huillier et Mathieu Chaigne – L’express N° 3212
Moralité :
Ne jamais croire aux sondages, ce sont des faiseurs et dé-faiseurs selon leurs propres intérêts financiers. MC