Les deux articles que vous trouverez ci-dessous ont été trouvés dans des revues à l’audience diamétralement opposée. À leur lecture est difficile de dire ce qu’il dénonce réellement car en se bornant à une première lecture ces deux articles stigmatisent pêle-mêle : les laboratoires, les examens divers, l’usage de médicaments dit « de prévention » et les médecins s’autorisant à prescrire dans ce cadre.
Les deux articles semblent condamnés la prévention médicale, pourtant les dépistages systématiques du cancer du sein, du colon, la médecine scolaire, la médecine du travail, les PMI, les dispensaires mis au service des plus démunis permirent d’éradiquer bon nombre de maladies, leur abandon au nom de l’austérité, de la restriction des dépenses aux divers niveaux (État, patronat, collectivités locales) n’est pas une assurance sur l’avenir pour une population saine. Ainsi donc il nous semble que ces deux articles n’abordent pas le problème de fond apporté par le bienfait de la prévention médicale. MC
Tous pré-malades !
Qui peut encore se vanter d’être bien portant ?
Une pointe de cholestérol ou de tension, et, au nom de la prévention, il faut se soigner. Les labos en profitent, des médecins s’alarment.
Qui n’a pas frémi, un jour, en parcourant ses résultats de prise de sang ?
D’ordinaire, tout est normal, et la feuille échoue au fond d’un tiroir. Mais, cette fois-là, l’œil s’est arrêté sur un chiffre suivi d’un astérisque, ou bien marqué en caractères gras. Celui-ci est trop élevé, ou trop bas. Coupable de ne pas entrer dans la fourchette attendue par le laboratoire d’analyses. Rien qu’à le lire, on se sent déjà patraque. Cette dictature des chiffres, le Dr Sauveur Boukris, généraliste et empêcheur de penser en rond, la dénonce dans un nouveau pamphlet, « La Fabrique de malades (Le Cherche Midi) ». Ce praticien en exercice avait déjà pointé du doigt, un an avant le scandale du Médiator, Ces médicaments qui nous rendent malades. Poursuivant sa réflexion critique sur la médecine actuelle, il montre cette fois comment on transforme des bien-portants en malades qui s’ignoraient.
Sans symptôme, mais susceptible d’en déclarer… Au cours de ces quinze dernières années, les seuils retenus comme normaux pour la pression artérielle, la glycémie (le taux de sucre dans le sang) ou encore le cholestérol (taux de graisse) n’ont cessé de baisser. Du coup, le nombre d’hypertendus, de diabétiques et de patients traités pour une hypercholestérolémie a mécaniquement augmenté, en France comme dans le reste du monde.
Ainsi, depuis 2000, une personne est considérée comme diabétique à partir d’un taux de glycémie de 1,26 gramme par litre, contre 1,4 auparavant. Sur la base d’arguments scientifiques, certes, mais néanmoins discutés. Juste au-dessous, pour les valeurs comprises entre 1,1 et 1,26, on est maintenant pré-diabétique ! Sans symptôme, mais susceptible d’en déclarer.
De la même façon, on peut se retrouver catalogué pré-hypertendu. Ou en pré-ostéoporose, c’est-à-dire avec des os fragilisés par l’âge. Pré-malade, en somme. Il suffit pour cela de résultats d’analyse flirtant avec les seuils de référence. Au nom de la prévention, il faudrait alors se surveiller et, au besoin, prendre des médicaments afin d’éviter de se retrouver, plus tard, dans la zone rouge.
Le Dr Boukris explique à quel point ce discours, encouragé par les laboratoires pharmaceutiques, fait mouche chez nos contemporains. Dans l’esprit de nombreux patients, « un chiffre imprimé en gras sur la feuille d’examens biologiques impose une prescription, écrit le généraliste. Docteur, vous ne me donnez rien pour le cholestérol ? J’ai peur pour mes artères. »
Le Dr Boukris n’est pas seul, parmi les médecins, à déplorer cette dérive des temps modernes. Dans le best-seller de l’hiver, le Guide des 4 000 médicaments (Le Cherche Midi), les Prs Philippe Even et Bernard Debré accusent, eux aussi, l’industrie de pousser à « l’acharnement préventif ». Et les deux trublions de clamer : « Réduire le cholestérol ne réduit guère les maladies artérielles. » Ils raillent avec la même vigueur les « hyper-tensinologues » qui, à force d’abaisser les valeurs définissant la maladie, laissent croire qu’un quart de la population adulte mondiale serait touchée.
Pour leur part, ils se réfèrent à une déclaration de grands cardiologues datant de… 1931 : « Le plus grand danger qui menace un hypertendu est la découverte de son hypertension. » Sous-entendu, c’est la frayeur, et non la maladie, qui pourrait lui causer un infarctus ! Au-dessous de 15/9, selon eux, la maladie ne provoque quasiment aucun symptôme, et le risque de complications reste faible. Alors, cette tension, êtes-vous toujours sûr de vouloir la prendre ?
Estelle Saget – L’Express N°3211
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Pour les labos: malade ou pas, on vous soigne quand même !
Question. Pourquoi avez-vous écrit « la Fabrique des malades » ?
Sauveur Boukris. Je voulais connaître l’origine et les conséquences de la surconsommation de médicaments, d’actes biologiques, radiographiques, que je constate en France. Je me suis rendu compte que l’industrie pharmaceutique travaille à tout transformer en problème de santé publique. Elle organise ou finance des journées ou semaines d’information et de sensibilisation aux maladies, des campagnes de dépistage qui vont pousser à la consommation médicale. Tout le système médico-industriel est aujourd’hui centré sur le risque. On ne part plus du symptôme. On en vient à traiter des personnes qui ne se plaignent de rien. C’est clair avec les maladies métaboliques : depuis une dizaine d’années, l’industrie pharmaceutique, les experts cliniciens, avec l’appui d’études épidémiologiques, ont baissé le seuil de définition du diabète, de l’hypertension et du cholestérol. Trois maladies chroniques qui nécessitent un traitement à vie : à chaque point abaissé, on a créée des centaines de milliers de patients supplémentaires.
Et donc de consommateurs de médicaments. Cette médecine ne traite plus des personnes, elle vise des objectifs : la tension doit être inférieure à 14,9, le cholestérol en deçà de 2,20 grammes, l’hémoglobine glyquée (pour le diabète) à 6,5, quels que soient l’âge et le profil des patients. On va ainsi traiter, à vie, des personnes qui n’étaient pas malades !
L’exemple le plus frappant est la prescription, hors autorisation de mise sur le marché (AMM), des statines. Elles sont officiellement indiquées pour faire baisser le cholestérol des personnes ayant des facteurs de risque (antécédents cardio-vasculaires, hypertension, obésité. . .). Or, nombre de patients sans facteurs de risques en consomment, uniquement parce que leur taux de cholestérol est supérieur aux objectifs ! Le marketing médical pousse à l’anxiété, en invitant toujours plus à anticiper les risques. Il en va de même du dépistage systématique, qui va transformer des biens portants (qui auraient pu le rester) en malades du cancer.
Question. Les statistiques montrent que la mortalité par cancer a baissé, ou qu’on évite a priori les complications des maladies métaboliques en respectant ces objectifs.
S. B. C’est vrai… en théorie. Mais on ne parle pas de l’accumulation des médicaments (parfois 4 à 5 familles thérapeutiques différentes) que l’on prend pour atteindre ces objectifs, et des effets secondaires de ces molécules. Ces objectifs sont comme les critères de Maastricht : ils sont tellement difficilement atteignables qu’ils provoquent une fragilité supplémentaire. Beaucoup de patients prennent plusieurs antidiabétiques, et gardent une hémoglobine glyquée à 7,5. Et si on suit les recommandations officielles, il faut alors passer à l’insuline. Laquelle, à son tour, n’abaisse pas forcément l’hémoglobine glyquée.
Pour les cancers, la mortalité n’a pas baissé parce qu’on a fait plus de dépistages, mais parce qu’on a considérablement amélioré les traitements. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on fait par exemple des coloscopies qu’on va prendre forcément la tumeur à ses débuts. Ces politiques doivent être évaluées, comparées. Ce n’est pas assez le cas aujourd’hui.
Question. Dans la pratique, qu’est-ce que cela implique?
S. B. Les médecins doivent évaluer leur pratique. Voir s’ils font uniquement ce qu’on leur dit de faire, s’ils agissent par peur des procès et réprimandes, ou s’ils se mettent vraiment au service des patients. Les recommandations officielles sont uniquement fondées sur des chiffres. On doit s’en servir, mais elles ne doivent pas être parole d’Évangile ! Quand je constate l’inefficacité des traitements sur des malades, je les arrête. J’ai supprimé les statines à mes patients de plus de 80 ans. Je préconise une démédicalisation. Ça ne veut pas dire que je ne traite plus mes patients ou que je les soigne avec des plantes. Mais la médecine n’est pas
faite de données universelles et immuables. Les grands professeurs ne doivent pas se comporter en ayatollahs, il y a des débats, des critiques, qu’il faut entendre.
Question.. L’affaire du Médiator, puis la nouvelle loi sur le médicament ont-elles un peu changé la donne ?
S. B. On dit que les choses changent à chaque crise sanitaire. En réalité, c’est faux. Il faudrait développer l’esprit critique des médecins dès leur formation. Et pour cela, on a besoin de bien plus de transparence, pour bien repérer les éventuels conflits d’intérêts. Mais la plupart des médecins sont dans le conformisme, l’habitude. Il est plus facile d’aller dans le « prêt à soigner » que dans le sur-mesure. Le paiement à la performance, accepté par la grande majorité des médecins, accentue ce phénomène.
« La Fabrique des malades. Ces maladies qu’on nous invente », éd. du Cherche-Midi, 237 pages, 17 euros. Dr SAUVEUR BOUKRIS, médecin enseignant à l’université Diderot.
Interview du Dr S. Boukris réalisé pour l’HD du 17/23 Janv. 2013
excellent et pédagogique. Bravo Michel