Dans quelques heures certains pourront fêter Noël en famille avec distribution de cadeaux et toutes les ripailles obligatoires orchestrés par les médias, commerçants et grandes surfaces, une caste qui pense d’abord aux ponctions qu’ils pourront pratiquer sur les maigres deniers restants dans les porte-monnaies en cette fin d’année (lorsque le budget du mois suivant n’est pas déjà grevé).
Peut-être ferai-je comme tant d’autres poussé par la gourmandise face aux nombreuses et alléchantes propositions marchandes des vitrines illuminées, j’améliorerai certainement un peu l’ordinaire en cette soirée qui pourtant n’est rien d’autre qu’un jour ordinaire, pour moi qui suis athée. Cela ne m’empêchera pas de penser à tous ceux qui sont obligés de se restreindre, quand encore ils ne sont pas astreins à la soupe populaire ou dans le froid de la rue.
C’est le commerce et le souhait de ne pas « pénaliser » mes enfants envers leurs petits camarades, qui m’a obligé à donner des jouets, friandises ou cadeaux en cette journée du 25 décembre. En réalité, rien n’oblige à gâter spécialement les enfants tout comme l’estomac d’ailleurs, lors de cette date, nous pouvons accorder toutes récompenses à n’importe quelles dates de l’année, sans raison particulières, suivant notre désir et pour la plus grande joie des enfants.
Lorsque j’étais enfant, la famille étant laïque jusqu’au bout du raisonnement, nous ne fêtions pas le 25 décembre mais célébrions avec brio, la réunion de famille du 1er janvier, nous y recevions et donnions les différents cadeaux avec tous les vœux pour la future année qui commençait. Il faut dire que nous étions à la sortie de guerre de 1940 et qu’en 45 les restrictions allaient bon plein, que l’industrie du jouet était loin d’être aussi développée et attractive que de nos jours, que les différentes victuailles de fête d’aujourd’hui, étaient soit extrêmement chères, soient absentes des étals.
Quoi qu’il en soit notons que l’amplification de la pauvreté n’est pas récente, à preuve cet article trouvé dans le monde diplomatique daté de février 1990… en 2012 rien ne s’est amélioré, bien au contraire la détresse est plus grande et plus nombreuse. MC.
De la pauvreté en France ( Rappel l’article est de Février 1991)
ÉTONNANT… l’étonnement de ceux qui, avec la publication de l’étude du Centre d’étude des revenus et des coûts (CERC) (1) « Le tournant des années 1980 », découvrent subitement qu’en France l’écart entre riches et pauvres n’a fait que s’accroître durant cette dernière décennie.
Voilà déjà dix ans, le Secours catholique alertait l’opinion et les pouvoirs publics en publiant le dossier Et chômeurs…. Il révélait « une accélération de la détresse » : Des pauvretés nouvelles sont apparues qui frappent de plus en plus et de plus en plus lourdement. » Ce cri des pauvres fut répété inlassablement les années suivantes : 1981, dossier sur les dettes des ménages à l’égard d’Électricité de France (EDF) ; 1984, dossier sur le logement, Et se loger… , et publication du document épiscopal Attention… pauvretés ; 1985, dossier sur la solitude, Et seuls…. En 1988, le rapport Et les pauvres, monsieur le président ? , remis à M. François Mitterrand, précisait : « Depuis plus de dix ans la pauvreté croît dans notre pays… Avec les pauvres, c’est toute notre société qui se fracture. »
Une abondante littérature sur le thème de la pauvreté a jalonné les années 80. Des rapports ont été publiés à la demande d’institutions telles que le Conseil économique et social (du rapport Péquignot sur la Lutte contre la pauvreté (1979) à celui du Père Joseph Wresinski sur Grande Pauvreté et Précarité économique et sociale (1987) ou commandés par les premiers ministres en exercice, telles les « 60 propositions contre la précarité et la pauvreté » (1981), document toujours actuel, plus connu sous le nom du président de la commission qui l’élabora : le rapport Oheix, ou encore le « rapport Charvet », en 1983, qui, lui, ne fut pas rendu public.
L’État dut prendre, en octobre 1984, des dispositions d’urgence pour répondre à cette montée de l’exclusion. Un hiver rigoureux sensibilisa le public.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Depuis plusieurs mois, le nombre de demandeurs d’emploi s’est stabilisé. Il tend même à décroître. Mais l’augmentation de la précarité des emplois et la détérioration des conditions du chômage interdisent toute euphorie. L’effectif des salariés sous contrat temporaire a presque triplé en douze ans. Sur 9 millions de contrats de travail signés en 1988, il n’y a eu que 1 million d’embauches fermes alors qu’ont été signés 5,5 millions de contrats d’intérim et 2,5 millions de contrats à durée déterminée (2).
Conséquence immédiate : le nombre d’heures effectuées par certains est insuffisant pour qu’ils puissent prétendre à une indemnisation de l’UNEDIC. C’est ainsi que 400 000 dossiers de demande d’allocation ont été rejetés sur les quatre premiers mois de 1989 dont un sur deux pour « durée d’affiliation insuffisante ». Cette raison n’intervenait que pour 40 % en 1985. Parallèlement, la durée moyenne du chômage augmentait, elle, de quinze jours entre mai 1988 et mai 1989. Des populations de plus en plus vulnérables et fragilisées courent des risques de rupture sociale de plus en plus graves.
Depuis dix ans, la courbe des demandes d’aide auprès du Secours catholique n’a cessé de croître (3), mais l’examen attentif des statistiques fait apparaître une constance des causes et des profils de pauvreté. Les pourcentages, bien que les masses augmentent, ne varient pratiquement pas d’une année sur l’autre. Quelques exemples illustrent ce phénomène.
Le nombre des jeunes de moins de vingt-cinq ans en difficulté est stabilisé autour de 15 % de l’ensemble de ceux que le Secours catholique rencontre. Pourtant, les gouvernements successifs ont dépensé beaucoup d’énergie et de fonds publics pour mettre en place des solutions présentées comme adaptées à cette population : des travaux d’utilité publique (TUC) aux stages d’insertion à la vie professionnelle (SIVP), des contrats de qualification, d’adaptation, en alternance, d’emploi-formation, les dispositifs pour les seize-dix-huit ans et maintenant le crédit-formation.
Le taux de personnes sans qualification professionnelle s’élève à environ 70 % des sollicitations. N’est-ce pas la résultante des limites à notre système éducatif et de l’inadaptation de la formation à une catégorie de la population, celle des pauvres ? La société est d’ailleurs attentive à ces failles. Le débat sur le devenir et l’adaptation de l’éducation nationale est au cœur de cette prise de conscience. L’État et le milieu associatif mettent en place des programmes de lutte contre l’illettrisme et intensifient le développement de l’aide scolaire aux enfants en situation d’échec.
Le pourcentage de personnes et foyers ayant des dettes se maintient à 60 % de l’échantillon du Secours catholique, bien que des fonds spéciaux, dans le cadre des plans annuels « pauvreté-précarité », aient été débloqués depuis 1984 afin de répondre aux impayés de loyer et aux dettes d’électricité. Pour les premiers, les dispositifs ont connu bien des lourdeurs : accès difficile ; non-généralisation sur l’ensemble des départements ; non-prise en compte du parc locatif privé alors qu’une partie importante de populations défavorisées y réside faute de pouvoir accéder au parc public ; sélection des personnes les plus solvables.
Ces dysfonctionnements ont amené le gouvernement de M. Rocard à proposer une nouvelle loi sur le droit au logement qui organise un système plus dynamique et plus performant, centré sur les plus démunis. Pour les dettes d’électricité, les commissions aux impayés d’EDF ont fait l’objet des mêmes critiques. C’est pourquoi la circulaire du plan pauvreté 1990 annonce de nouvelles conventions renforcées entre l’État et EDF, impliquant plus activement EDF en vue d’assurer un meilleur accompagnement des populations concernées. Ces orientations successives proviennent souvent du même constat : l’échec des dispositifs précédents, qui s’effilochent alors qu’ils partaient des meilleures intentions.
Victimes d’anomalies administratives
RETARDS et dysfonctionnements administratifs sont aussi causes de pauvreté. Depuis dix ans, un dossier sur quatre traités par le Secours catholique révèle une anomalie administrative, une mauvaise application de la réglementation, la lourdeur de mécanismes sophistiqués. Le rapport Péquignot… en 1979 faisait des propositions pertinentes qu’il serait grand temps d’appliquer :
« Pour lutter contre ce que nous avons appelé les conséquences « perverses » des réglementations les mieux intentionnées, il serait opportun : d’être à même de dresser une évaluation permanente de toutes les mesures prises pour lutter contre la pauvreté ; de réfléchir aux décisions à venir sous l’angle des difficultés ou des incapacités d’utilisation pour les plus défavorisés qu’elles peuvent recéler ; de procéder préalablement auprès de ce type de population à une expérimentation des mesures que l’on se propose de prendre, afin de prévoir les difficultés de leur application ; d’évaluer le coût de l’efficacité des procédures et des contrôles administratifs qui opposent à une clientèle unique parfois autant de procédures distinctes et d’administrations parallèles, sinon rivales, que ces populations possèdent de besoins, ce qui joue certainement un rôle dans le fait que les meilleures intentions ne bénéficient pas toujours aux cas les plus graves et les plus intéressants. »
Pour la commission Oheix, en 1981, il convenait :
« De faciliter l’accès au droit ; de donner un crédit sur l’ouverture du droit ; c’est-à-dire d’étendre le système des droits supposés ; de raccourcir les délais entre l’ouverture du droit et la liquidation de la prestation ; d’abolir les irrégularités dans les rythmes de versement afin d’éviter les ruptures dans la trésorerie des familles ; de prolonger la protection jusqu’à ce que le relais soit pris par un autre système de prise en charge ; de gérer les indus de manière personnalisée. »
Les mêmes causes produisant les mêmes effets et l’habitude étant pour l’administration une seconde nature, presque rien de neuf n’a permis de faciliter l’accès aux droits des populations les plus défavorisées. La bonne volonté ne manque pas, mais l’intention ne vaut pas le fait.
Depuis dix ans, les réponses à la pauvreté ont été élaborées en termes de « nouvelles » prestations, de « nouveaux » dispositifs, de « nouveaux » statuts, le tout fonctionnant sur le principe des strates successives des politiques, des décrets et des circulaires. En matière de logement, il y a eu les lois Quilliot et Méhaignerie. Aujourd’hui, la loi Besson se peaufine. Pour l’enseignement, il deviendrait cruel de citer des noms. Un peu comme si l’on préférait corriger le tir en fonction des circonstances que d’opérer une nouvelle évaluation des politiques de l’État.
Le revenu minimum d’insertion (RMI) est la plus récente illustration de ce mode de fonctionnement. Voilà une loi adoptée en novembre 1988 à la presque unanimité de la représentation nationale. Un an après, le bilan de son application est très mitigé.
Le mode de calcul de la prestation fait partie de ces labyrinthes dont l’administration française a le secret. La complexité est telle que seuls les initiés ont une chance de s’y retrouver. Lors du dépôt de la demande de RMI, il sera tenu compte des ressources perçues par le demandeur et sa famille au cours des trois derniers mois. On procèdera alors à une neutralisation sélective de « certaines » ressources jusqu’à un « certain » plafond pour « certaines » d’entre elles. On regardera aussi si la personne ne bénéficie pas d’avantages en nature : parmi ceux-ci on ira jusqu’à retirer 2 % du RMI par 100 mètres carrés pour tout jardin exploité supérieur à 200 mètres carrés ! Curieuse manière d’encourager la remise à l’activité et l’insertion. Vaudrait-il mieux quémander quelques boîtes de conserve – non déclarables ! – auprès de l’association humanitaire locale que de cultiver son jardin… ?
Puisque complexe est le calcul, le bénéficiaire du RMI recevra lors de la notification de la prestation par la caisse d’allocations familiales (CAF) un document explicatif très… hermétique. « Ce sont les contraintes de l’informatique » , explique-t-on à la Caisse nationale d’allocations familiales, qui est consciente de cette difficulté et compte améliorer la transparence et la compréhension de l’information.
Le traitement des dossiers RMI en est-il facilité ? En moyenne, trente-neuf jours sont nécessaires pour percevoir la prestation. Le système d’avance qui pourrait pallier les conséquences de tels délais pour les personnes dans le plus complet dénuement fonctionne très mal. Et, paradoxe, devant ces carences, des organismes caritatifs comme le Secours catholique sont sollicités par les services sociaux publics, car certaines prestations d’aide sociale facultatives se trouvent comprimées puisque désormais le RMI est en place.
Le dossier étant réexaminé par la CAF tous les trois mois, et certaines familles, du fait d’un salaire temporaire, pouvant entrer et sortir du dispositif, les bénéficiaires du RMI doivent faire preuve d’une capacité particulière à gérer un budget très limité. Le rapport Oheix avait déjà repéré ce danger : « De nombreuses personnes voient leur vie désorganisée à cause des à-coups de leurs recettes, à-coups qu’ils ne peuvent amortir faute précisément de réserves financières même modestes. »
L’excès de réglementation du dispositif RMI oublie que toute mesure en faveur des pauvres doit tenir compte d’une remarque essentielle du rapport Péquignot : »Toute la réglementation (démarche à faire, pièces à produire, délais à respecter) est fondée sur le principe que « nul n’est censé ignorer la loi ». Or, avec les populations en difficulté, c’est le postulat inverse, « nul n’est censé connaître ses droits », qui devrait être pris pour base d’élaboration de la réglementation. »
L’une des leçons à tirer du décalage, voire du mur d’incompréhension, qui existe entre les faiseurs de lois et réglementations sociales et ceux qui en sont les destinataires potentiels, n’est-elle pas d’ordre culturel ? Mieux connaître, prendre en compte, respecter et intégrer la culture des familles en difficulté devrait être le point de départ de tout projet social
La Mutualité sociale agricole, par exemple, est particulièrement consciente des freins (perception d’une allocation destinée aux « marginaux en ville », refus de l’assistance, crainte de l’hypothèque posée sur les biens personnels dès la perception du RMI) qui gênent la mise en place du RMI en milieu rural.
Mais le risque majeur est encore à venir. Il porte sur le volet « insertion » lié à la prestation. L’État est aujourd’hui pris en tenaille entre l’efficacité immédiate qui a prévalu à la mise en place (trop) rapide du revenu minimum et la crédibilité des contrats d’insertion. Les statistiques à venir ne donneront ici qu’une indication relative. On peut en effet multiplier à vau-l’eau le nombre des contrats bouche-trous qui n’auraient plus rien à voir avec la volonté et l’énergie du corps social déployées dans une lutte efficace contre la pauvreté et le développement d’une réelle solidarité.
C’est donc en premier sur ses propres pratiques que l’État doit choisir et se remettre en cause. Les politiques sociales oscillent depuis longtemps entre les mesures prises pour tous (suivant le principe de l’égalité des citoyens) et des programmes spécifiques sur des populations cibles (comme le logement des immigrés dans le cadre du débat sur l’intégration). Comment dans ces conditions garder un cap cohérent et efficace ?
Deux millions et demi d’exclus
PROGRÈS indéniable, les textes prévoient désormais des phases d’évaluation sur les programmes de lutte contre l’endettement des ménages (loi Neiertz), sur le RMI lui-même avec la mise en place d’une commission ad hoc. Encore faudra-t-il préciser les modes d’élaboration des outils d’analyse et les conditions de fonctionnement.
Enfin, les politiques de lutte contre les pauvretés sont passées en dix ans de l’ignorance réciproque des organismes et partenaires sociaux à un partenariat désormais acquis qui facilite les relations négociées entre l’État, les collectivités locales et les associations.
Le temps est venu de constituer des réseaux où tous les acteurs assemblent leur savoir-faire, leur capacité et leur implantation sur des objectifs communs d’autant plus accessibles que chacun (pouvoirs publics, collectivités locales, opérateurs divers) peut apporter quelque chose.
Il faut relancer un dynamisme de cet ordre pour l’insertion. C’est essentiel pour les 2,5 millions de personnes en difficulté que compte notre pays.
Mais les collectivités locales traînent les pieds. Les employeurs ignorent le RMI. Les associations se découragent. Les préfets sont submergés par bien des dossiers. Les travailleurs sociaux et les employés aux tâches administratives sont débordés. Les conseils généraux font rarement de l’insertion une priorité. Et l’opinion publique a oublié la chose. 1990 sera donc une année charnière pour le RMI, celle où cette volonté politique sera ou non rejointe par sa concrétisation sur le terrain. Les prochains plans départementaux d’insertion nous fourniront la réponse.
Auteurs : Daniel Druesne et Philippe Lagouanelle –Le Monde Diplomatique – Février 1990
Notes
- Les français et leurs revenus, La Découverte/La Documentation française, Paris, 1989.
- Source : Liaisons sociales, 9 novembre 1989.
- « La défaillance sociale des démocraties », le Monde diplomatique, mai 1988.