Berlusconi remonte sur scène ?

Le retour (si prévisible) du Caïman

Il fallait s’y attendre.

Avec la chute de Mario Monti, la tentation est forte de republier ce que nous avions écrit il y a treize mois, dans un état de solitude béate, au moment de l’ascension de ce même Monti. Inutile de déplacer la moindre virgule : le prologue contenait déjà l’épilogue. Aujourd’hui, la seule chose qui surprenne est justement la surprise de Mario Monti et du président de la République, Giorgio Napolitano.

Seuls ceux qui, dix-neuf ans après, n’ont toujours pas compris qui était réellement Berlusconi peuvent encore s’étonner de la tournure des événements : ceux qui pensaient que le Caïman s’était retiré par respect des institutions, se résignant à une retraite dorée en échange de la prescription dans l’affaire Mills (où Berlusconi est accusé de corruption de témoin), de l’annulation de la condamnation de Dell’Utri (un proche de Berlusconi accusé de complicité avec la Mafia) et du gel de la vente aux enchères des fréquences télé (gel considéré comme une fleur accordée par le gouvernement Monti à Berlusconi, qui était opposé à cette vente aux enchères).

Ce sont les mêmes qui tremblent de stupeur indignée parce que Silvio a attendu le pire moment pour re-re-re-re-remonter sur la scène politique et envoyer le gouvernement valdinguer.

Mais à qui croyaient-ils avoir affaire ?

Berlusconi 4

A un homme d’Etat ?

Ce qui se trame est la conséquence naturelle du choix malheureux de Giorgio Napolitano, de Pier Luigi Bersani (secrétaire général du Parti démocrate, gauche) et de Pier Ferdinando Casini (leader centriste), qui ont refusé il y a un an d’organiser tout de suite des élections anticipées et de changer de gouvernement sans toucher au Parlement ; d’imposer au gouvernement technique une majorité contrôlée, ou plutôt vampirisée par Berlusconi, celui-là même qui avait conduit le pays dans le mur.

L’ennemi, nous enseigne Machiavel, doit être éliminé sans attendre, si possible dès la première nuit. Avec des élections dès l’année dernière, Berlusconi aurait été enterré par les électeurs. Les partis d’opposition auraient pu exaucer les voeux des marchés et de l’Europe en proposant Monti au poste de président du Conseil, avec une majorité salutaire qui aurait été en mesure d’assainir les finances de l’Etat en deux ans.

Ce gouvernement aurait ensuite pu rendre la parole aux électeurs afin de restaurer la dialectique démocratique classique entre un centre droit et un centre gauche enfin nettoyés et renouvelés. Berlusconi aurait disparu et Monti, légitimé par le vote populaire, aurait eu les mains libres pour faire payer le coût de la crise aux plus riches : lutte draconienne contre la fraude fiscale, éventail de lois anticorruption, antimafia et anticastes, impôts sur la fortune, libéralisations, privatisations, coupes drastiques dans les dépenses folles et inutiles, comme le chantier pour la ligne de TGV Lyon-Turin, les F-35 et les 4o milliards annuels accordés aux entreprises [sous forme d’aides au déve­loppement].

Au lieu de cela, les « professionnels de la politique », ceux qui se croient malins et qui mettent la démocratie en jeu comme s’ils jouaient à Risk, ont finalement sauvé une énième fois Berlusconi, en lui remettant les clés de la majorité.

A présent; Napolitano et les journaleux tombent de leur estrade et découvrent que Berlusconi fait passer ses propres intérêts avant la République. Non, mais tu te rends compte, l’homme d’Etat ne fait que ce qui lui chante : qui aurait pu le deviner ?

Ces ingénus d’opérette pen­saient-ils vraiment que Berlusconi serait resté gentiment assis sur son banc au fond du jardin ?

Cela fait vingt ans que ceux qui cherchent à rouler Berlusconi par le « dialogue » se font avoir. Après tant d’autres, Napolitano et Monti font désormais eux aussi partie du CVB, le Club des victimes de Berlusconi.

Marco Travaglio – Il Fatto Quotidiano Rome – Lu dans courrier international N°1154

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Vision selon « La Stampa » Turin

Monti désarçonné par le Cavaliere

La démission du Premier ministre annoncée le 7 décembre inquiète en Italie et à l’étranger. Mais face à la tentative de Silvio Berlusconi d’exploiter le malaise des Italiens, que pouvait faire d’autre le gouvernement technocratique qui a imposé tant d’efforts pour redresser le pays ?

Mario Monti a pris une journée pour réfléchir. Puis il a accompli le seul geste cohérent avec sa personne, sa vie et sa façon de gouverner : assurer le budget 2013 et donner ensuite sa démission.

Non seulement il ne pouvait pas accepter de se faire mettre en accusation par celui qui lui avait remis entre les mains un pays en pleine débandade ; non seulement il n’avait pas l’intention de mendier pendant des semaines la confiance sur chaque mesure mais aussi, il ne souhaitait pas parcourir un mètre de plus flanqué de celui qui a décidé que la monnaie unique est la source de tous les malheurs. “Je ne vais pas à Bruxelles pour couvrir ceux qui font des déclarations anti-européennes. Je ne veux rien avoir à faire avec eux”, a dit très clairement Monti au président de la République le 8 décembre, alors qu’il lui annonçait son intention de démissionner.

Un geste clair et transparent, qui oblige chacun à prendre ses responsabilités et qui laisse Berlusconi seul avec ses convulsions et ses volte-face. Nul ne souhaite discuter du droit du Cavaliere à se présenter à nouveau (même si, pendant un an, il avait assuré le contraire), mais il est intolérable que l’actionnaire majoritaire du gouvernement technique [le parti du Peuple de la liberté, PDL, de Silvio Berlusconi, est majoritaire dans la coalition gouvernementale] –  qui, rappelons-le, est aussi le Premier ministre qui avait laissé l’Italie au bord du gouffre –  se réveille un matin et prenne ses distances.

Retour à l’urgence et aux convulsions

Il n’est pas tolérable non plus qu’il accuse Monti d’être le responsable de tous les problèmes de l’Italie, sans reconnaître le travail accompli en un an. Face à l’incapacité de gouverner et à la profonde méfiance des Italiens dans le système des partis, le gouvernement Monti devait servir à mettre en sécurité les comptes de l’Etat et à nous amener vers de nouvelles élections. Le pacte était que chacun assumait sa part de responsablité (et d’impopularité) afin d’essayer d’éviter le crash du pays, sans céder aux sirènes du populisme ni profiter du mal-être social.

Avec ces prémisses, comment le patron du Peuple de la liberté, le parti de Berlusconi, Angelino Alfano, pouvait-il penser que Monti pouvait continuer à gouverner alors qu’il venait de lui retirer officiellement sa confiance à l’Assemblée nationale ? Seul un politique vieille école et rompu à tous les compromis aurait fait semblant de rien. Monti au contraire a pris acte et décidé de rendre les clés du gouvernement.

Ainsi, nous irons voter, pour la première fois de l’histoire de la République, en hiver. Peut-être même pendant la première moitié de février, si on anticipe le vote du budget et que le Parlement est dissous à la veille de Noël.

Après avoir tenté de faire les choses dans l’ordre pendant 12 mois, nous sommes revenus à l’urgence et aux convulsions de la pire politique. Avec tous les efforts et les sacrifices que nous avons faits, on ne méritait pas ça.

Il serait temps que l’Italie aussi devienne un pays normal, prévisible et qui sait, également ennuyeux. Un pays dont on n’a pas à rougir, qui peut siéger en Europe et parvenir à se faire entendre. Pendant un an, on y était presque.

Auteur Mario Calabresi – Traduction : Luca Pauti – 10 décembre 2012 La Stampa Turin