Représenter les chômeurs, une exigence démocratique

Dans notre société où le travail occupe une place centrale, le chômage apparaît comme un manque, un vide dans la construction de l’identité, tant individuelle que collective. Ce vide s’accompagne souvent de solitude et de silence. Comme si l’absence de travail privait de fait les personnes de leur droit à la parole et leur interdisait toute expression collective.

Il est vrai que lorsqu’une personne est confrontée à l’épreuve sociale et psychologique du chômage, elle a tendance à se réduire d’elle-même au silence. La mobilisation personnelle et la prise de parole collective sont alors plus difficiles. Cependant, c’est au niveau politique que cette question du silence des chercheurs d’emploi doit être posée. L’absence de représentation des chômeurs est aujourd’hui criante.

La loi de lutte contre l’exclusion de 1998 a marqué un réel progrès, mais elle ne fait pas référence à la représentation des demandeurs d’emploi, hormis l’article relatif aux comités de liaison de Pôle emploi. En dépit des effets positifs de la relance de ces comités en 2010, les chômeurs ont bien du mal à trouver leur place dans cette instance, qui a plus un rôle d’information que de dialogue social. Là n’est pas le plus grave. Le véritable déni de démocratie vient du fait que les demandeurs d’emploi sont absents des instances de régulation, où l’on discute de leur sort. On peut citer le Conseil national des politiques de lutte contre l’exclusion (CNLE), le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE)…

Comment admettre, enfin, qu’en étant aujourd’hui près de 5 millions, les demandeurs d’emploi ne soient pas représentés au sein du conseil d’administration de Pôle emploi ?

Avec le contexte économique actuel, la citoyenneté des chômeurs est une question qui concerne tous les actifs et la société dans son ensemble. La parole sur le chômage fait partie de cette « thérapie collective » dont la société a besoin, comme l’évoquait déjà Jean-Baptiste de Foucauld en 1992.

Constituer des instances représentatives de chômeurs n’est pas aisé, car les personnes au chômage n’ont pas vocation à le rester. Par conséquent, il serait intéressant d’associer à la constitution d’un collectif représentant toutes les catégories touchées par le chômage, des personnes en activité, ayant traversé une période de chômage. Elles sont nombreuses et le seront plus encore dans un avenir proche. Au niveau des instances de régulation sociale, la coopération entre les mouvements syndicaux et les associations d’aide aux chômeurs gagnerait à s’organiser. L’ État pourrait aussi organiser la consultation (peu coûteuse si l’on utilise Internet) des personnes inscrites à Pôle emploi avant tout lancement de mesures importantes.

C’est non seulement un devoir moral, mais une exigence démocratique que de replacer au centre du débat public la question de la représentation des chômeurs. Car quelle société peut durablement ignorer une population qui représente trois fois le nombre d’agriculteurs ou autant de fonctionnaires et d’agents publics ?

 

Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles face au chômage

Source de l’article :  Alternatives Économiques Permalien