Extraits
Selon un rapport de la commission européenne, la République populaire de Chine (PRC) a dépassé les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon en devenant le premier exportateur de biens de haute technologie en 2006.
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En 1995, elle ne représentait que 2,1 % des exportations mondiales de ce genre de produits, soit l’équivalent de 8 % de celles des États-Unis.
Avec 1,3 milliard d’habitants, il n’est pas étonnant que la Chine domine le marché mondial des produits exigeant une forte main-d’œuvre. En revanche, il l’est davantage que, seulement une décennie plus tard, ce pays soit considéré comme le plus gros exportateur de biens de haute technologie. Cela est d’autant plus surprenant si l’on considère le niveau de dépenses dans la recherche et développement (R&D), qui ne représente que 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) [Tong et Zhu, 20091.
La question dès lors est simple : est-ce que la Chine est bien le champion des exportations de biens à haute technologie, ou cela n’est-il qu’un mythe ?
Dans cet article, j’analyserai la structure des exportations de biens à haute technologie de la Chine ainsi que la structure actionnariale des firmes de ce secteur pour montrer que seule une faible partie de la valeur ajoutée des produits étiquetés « made in China » peut être attribuée à la Chine, et que la contribution réelle du pays à 8o % des exportations de haute technologie est le travail, non la technologie.
Cette réalité suggère que le leadership chinois dans les exportations de biens à haute technologie relève surtout d’un mythe qui n’a que peu à voir avec les progrès technologiques des entreprises autochtones.
Les statistiques officielles de la République populaire de Chine sur le commerce de haute technologie sont divisées en neuf catégories de produits : ordinateurs et télécommunications, technologies des sciences de la vie, électronique, production assistée par informatique, aérospatiale, électronique optique, biotechnologie, matériaux, et « autres produits ». La classification est publiée conjointement par le ministère chinois des Sciences et de la Technologie et le ministère du Commerce. Ces statistiques sont comparables à celles publiées par les Etats-Unis dans la même catégorie.
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Produits de haute technologie ou « produits assemblés de haute technologie » ?
L’administration générale des douanes chinoises classe les échanges commerciaux en deux grandes catégories : le commerce de transformation et le commerce ordinaire.
Le commerce de transformation implique l’importation de pièces et composants comme intrants intermédiaires. Ces derniers sont ensuite assemblés pour être transformés en produits finis, avant d’être réexportés sur le marché mondial. Les exportations de produits transformés nécessitent donc à la fois des composants importés et d’autres qui sont produits localement. La part chinoise contenue dans les produits fabriqués en Chine détermine le montant de sa valeur ajoutée intérieure aux exportations.
En 2010, le commerce de transformation représentait plus de 40 % du commerce total de la Chine, selon les données des douanes chinoises.
En raison d’un retard en matière technologique, le commerce de transformation a constitué la plus grande partie des exportations chinoises depuis le début des années 1990. En 1993, la Chine a exporté pour 4 millions de dollars de produits de haute technologie, au sein desquels les exportations de produits transformés représentaient 71 %. A cette époque, les firmes étrangères ont délocalisé en Chine des pans entiers de leurs chaînes de montage, faisant de ce pays une plateforme pour l’exportation. La part des exportations de produits transformés de haute technologie de la Chine a donc progressé de façon exponentielle, atteignant près de 90 % en 2003, avant de baisser légèrement en 2010 pour revenir à environ 80 %.
Lorsque ces produits assemblés sont expédiés à l’étranger, les douanes chinoises les classent indifféremment comme « exportations de haute technologie », sans distinguer ce qui, dans la contribution chinoise, relève de la main-d’œuvre et ce qui tient de la technologie. C’est l’entière valeur de ces produits qui est mise au crédit de la Chine, sans prendre en compte la provenance des composants clés, qu’ils soient importés ou fabriqués en Chine. Par conséquent, les statistiques actuelles du commerce chinois sont faussées et gonflent considérablement les exportations chinoises de produits de haute technologie.
La série des « iProduits » conçus par Apple en est un parfait exemple. Tous les iPods, iPhones et iPads sont assemblés exclusivement en Chine. Le rôle des travailleurs chinois dans leur fabrication se réduit à l’assemblage des produits pour qu’ils soient opérationnels, avant de les réexporter sur les marchés mondiaux.
Lorsque ces produits prêts à l’emploi quittent le sol chinois, ils sont cependant classifiés comme produits de haute technologie et toute leur valeur ajoutée est créditée à la Chine. Il résulte de ces statistiques une idée faussée du commerce mondial : la Chine, pays en voie de développement, est devenue le principal exportateur de produits de haute technologie, tandis que des pays développés comme les États-Unis ou le Japon, eux, importent des produits inventés par leurs propres compagnies.
Étant donné la nature actuelle des statistiques sur les échanges commerciaux, une question intéressante se pose : quelle est la valeur ajoutée générée par les ouvriers chinois dans les exportations de produits de haute technologie ? En d’autres termes, dans quelle mesure les statistiques chinoises gonflent-elles les exportations de produits de haute technologie ? J’utiliserai les exemples des iPhones et des ordinateurs portables, qui appartiennent tous deux aux catégories « ordinateurs et télécommunications », pour répondre à ces questions.
Selon Xing et Detert [2010], en 2009 la Chine a exporté 25,7 millions d’iPhones 3G à 179 dollars l’unité. Ces exportations s’élevaient à 4,6 milliards de dollars, contribuant pour 1,2 % aux exportations de haute technologie chinoises. La valeur ajoutée de la Chine est de seulement 6,5o dollars par iPhone, le reste étant attribué aux composants importés d’Allemagne, du Japon, de la Corée du Sud et des États-Unis. Cela implique que le total de la valeur ajoutée des exportations d’iPhones de Chine était de seulement 167 millions de dollars, soit environ 3,6 % des 4,6 milliards calculés par la douane chinoise.
De même, la Chine est le premier fabricant d’ordinateurs portables du monde. En 2009, ce pays a exporté 108,5 millions d’ordinateurs à un prix de vente moyen de 484 dollars l’unité. Ces exportations s’élevaient à 52,5 milliards de dollars, contribuant pour 14 % aux exportations de haute technologie. Dedrick, Kraemer et Linden [2009] ont estimé que l’assemblage représente seulement 3 % du coût total de production. En prenant cette estimation comme référence, nous pouvons calculer que la valeur ajoutée par ordinateur portable générée par les ouvriers chinois est de 14,50 dollars. Pour ce qui est de la valeur ajoutée totale, elle tournerait autour de 1,6 milliard de dollars, soit seulement 3 % du total attribué au départ à la Chine.
Comme les iPhones et les ordinateurs portables ne représentent que 15 % des exportations chinoises de produits de haute technologie, il ne semble pas opportun de dresser un tableau général des exportations chinoises à partir de ces deux produits. Cependant, étant donné que 72 % des exportations de haute technologie concernent les « ordinateurs et télécommunications », dont 80 sont assemblés avec des composants importés, il ne fait aucun doute que les statistiques concernant les échanges commerciaux exagèrent grandement le montant des exportations chinoises de produits de haute technologie. En ne prenant pas en compte le pays d’origine des technologies clés utilisées, elles font une erreur lorsqu’elles désignent la Chine comme le numéro un des exportateurs de haute technologie.
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Qui produit les exportations de haute technologie de la Chine ?
Une autre question se pose : quelles sont les principales raisons de la spectaculaire flambée des exportations de haute technologie chinoises qui, en moins de deux décennies, sont passées de 10 milliards de dollars à 492,3 milliards de dollars ?
La réponse est simple : les investissements directs à l’étranger (IDE) et l’extension des réseaux de production des entreprises multinationales. Les investissements des entreprises étrangères ont conduit la Chine à une forte croissance tout en contribuant à plus de la moitié de ses exportations. Les progrès technologiques en matière de production et de transport ont grandement facilité l’élargissement des chaînes de production des multinationales à travers le monde.
A la spécialisation traditionnelle est venue se substituer une production fondée sur l’utilisation de process et de composants. Dans les domaines des ordinateurs et des télécommunications comme pour l’industrie électronique, les entreprises multinationales – et plus particulièrement celles du Japon, de la Corée du Sud et de Taïwan, ont largement contribué à cette évolution. L’ouverture de la Chine aux investissements directs étrangers, ainsi que son abondante main-d’œuvre, ont attiré les multinationales, qui cherchaient à délocaliser et sous-traiter le travail d’assemblage des composants, à forte intensité de main-d’œuvre, en intégrant la Chine dans leurs réseaux de production mondiaux.
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Conclusion : mythe et réalité
Les statistiques du commerce international montrent qu’en seulement une décennie la Chine est passée du statut de pays exportateur de produits à forte intensité de main-d’œuvre à celui de numéro un des exportateurs de produits de haute technologie. Mais comme nous l’avons vu, la position de leader de la Chine dans les exportations de ces produits est un mythe reposant sur des statistiques dépassées, ainsi que sur une classification incorrecte des biens produits. Les statistiques en vigueur sur les échanges commerciaux sont décalées par rapport à celles du commerce fondées sur les chaînes d’approvisionnement mondiales de valeur ajoutée et créditent à tort la Chine de la valeur totale des produits de haute technologie assemblés en Chine. La contribution réelle de la Chine aux 82 % des exportations de haute technologie réside dans le travail, et non dans la technologie. Les produits de haute technologie, principalement constitués de pièces et composants importés, devraient être désignés comme « assemblés en Chine ».
Pour mesurer avec précision les exportations chinoises de biens de haute technologie, il faudrait utiliser une approche centrée sur la valeur ajoutée, qui fournirait le cadre pour une analyse détaillée des distributions de la chaîne de valeur à travers les pays. En outre, si l’assemblage de produits est la seule source de valeur ajoutée par les travailleurs chinois, la contribution technologique aux exportations de haute technologie n’est au final pas différente de celle des produits à forte intensité de main-d’œuvre. Ce qui fait que ces exportations devraient être exclues de la désignation en haute technologie.
La tendance des multinationales du secteur des technologies de l’information et de la communication à fragmenter la production tout en l’externalisant a largement profité à la Chine. Mais le faible nombre d’entreprises high-tech chinoises suggère plutôt que la Chine n’est pas encore un réel concurrent d’autres pays comme les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon. Que la Chine soit aujourd’hui le premier exportateur de produits de haute technologie relève, par conséquent, davantage du mythe que de la réalité.
Yuqing Xing, Banque asiatique de développement, et professeur associé au National Graduate Institute for Policy Studies à Tokyo.
Traduction de Florian Fayolle –Economie politique N°56, Oct. 2012- Alternatives Economiques
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Bibliographie
- Dedrick, Jason, Kraemer, Kenneth L., et Linden, Greg, 2010, « Who profits from innovation in global value chains ? A study of the iPod and notebook PCs », Industrial and Corporate Change, vol. 19, n° 1, fév., p. 81-116.
- Market Intelligence Center (MIC), 2010, Information Industry Yearbook 2010, Taïwan, Institute for Information Industry.
- Meri, Tomas, 2009 « China passes the EU in high-tech exports », Eurostat, Statistics in Focus, « Science and Technology », n° 25/2009.
- Tong, Sarah Y., et Zhu, Jinjing, 2009, « China’s rapidly growing enterprise-led innovation system », Singapour, East Asian Institute, EAI Background Brief, n° 461, 2 juil.
- US Census Bureau, 2011, « US trade with China in advanced technology products » (www.census.gov/foreigntrade/statistics/product/atp/201/12/ ctryatp/atp5700.html).
- Xing, Yuqing, et Detert, Neal, 2010, « How the iPhone widens the United States trade deficit with the People’s Republic of China », Asian Development Bank Institute (ADBI), Tokyo, ADBI Working Paper, n° 257, déc. (disponible sur www.adbi.org).
- Xing, Yuqing, 2011, « Processing Trade, exchange rates, and the People’s Republic of China’s bilateral trade balances », Asian Development Bank Institute (ADBI), Tokyo, ADBI Working Paper, n° 270, mars (disponible sur www.adbi.org).