Plus de pauvreté, moins de solidarité nationale…

Progression de la précarité et recul de la protection sociale… face à ce double mouvement que connaît notre société, de nouvelles formes de solidarité tendent à émerger pour compenser les errements de la solidarité nationale. Innovations sociales ou échec de l’État ?

En 1945, la France, ravagée par la guerre, s’est dotée d’un système de protection sociale exemplaire. Il reposait sur des fondements qui se fragilisent aujourd’hui. Celui de la solidarité nationale, tout d’abord. Le système de cotisations mis en place devait ainsi permettre la prise en charge des personnes malades par les biens portants, des retraités par les jeunes ou encore des chômeurs par les actifs… Ces équilibres sont aujourd’hui remis en cause par la crise économique et financière: pour endiguer le déficit de la branche maladie de la sécurité sociale, des plans de déremboursement de médicaments se sont succédé ces dernières années.

Résultat: le coût de la santé augmente et sa « prise en charge solidaire » diminue… Idem pour les pensions des retraités, qui, insuffisamment revalorisées, ont largement perdu en pouvoir d’achat. Là encore le système de redistribution imaginé dans l’après-guerre s’enraye, d’autant que les retraites ne sont pas indexées sur les salaires.

Un autre fondement de la solidarité nationale est malmené: le principe du «salaire socialisé», qui risque d’être écorné. Bâti sur deux piliers, les cotisations sociales et patronales, le système de financement français de la protection sociale ne devait pas être à la seule charge des salariés, mettant aussi à contribution les entreprises. Or, l’éventuelle augmentation de la CSG – piste de travail du gouvernement – pourrait déséquilibrer le système initial.

Ces reculs pénalisent avant tout les personnes les plus démunies, qui sont déjà le plus durement touchées par la crise… Résultat, la pauvreté progresse dans notre pays depuis 2002; la France comptant entre 4,5 et 8,2 millions de personnes pauvres, selon la définition retenue. Phénomène nouveau : c’est chez les personnes âgées que la pauvreté progresse le plus. Avec 10 % des retraités -majoritairement des femmes – qui perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, soit en dessous du seuil de pauvreté (954 euros mensuels pour une personne seule). « Si le gouvernement ne lance pas de véritables réformes et actions en faveur de la solidarité intergénérationnelle et du soutien aux populations fragilisées par la mondialisation, écrivaient, dans Le Monde du 28 août 2012, deux chercheurs en sciences sociales (1), c’est aussi la digue de la solidarité et du sentiment de partager un avenir commun qui peut se rom­pre. » Aujourd’hui, la digue est ébréchée.

Dans ces conditions, que faire?

Certes, l’État a mis en place des dispositifs, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées, réévaluée pendant le précédent quinquennat, mais qui ne permet toujours pas à ses bénéficiaires de passer au-dessus du seuil de pauvreté: cette allocation constitue en réalité un complément de revenus qui doit assurer aux allocataires un niveau minimum de ressources, de 777 euros pour une personne seule et de 1.206 euros pour un couple. Quelle autre solution quand la solidarité nationale ne suffit plus? Retourner travailler? De plus en plus de retraités font ce choix. Certains pour occuper leur temps libre, mais beaucoup s’y résignent pour être en mesure de faire face à l’augmentation de leurs dépenses de santé non remboursées, à la hausse de leur loyer ou encore à celle du prix du carburant… ils seraient aujourd’hui 500.000 à avoir repris du service, soit trois fois plus qu’il y a six ans… Autre « recours » pour les personnes en situation de précarité, et notamment les retraités: la fréquentation des associations caritatives. Celle-ci ne cesse de progresser. Et là encore, les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins: le Secours populaire français, les Restos du cœur, la Croix rouge, le Secours catholique, Emmaüs… toutes les associations tirent la sonnette d’alarme. Leurs dépenses ne cessent d’augmenter, mais leurs recettes ne suivent pas. Les dons, notamment, ont stagné en 2011, alors qu’ils augmentaient habituellement de 5% par an, selon l’enquête de France générosité (2).

La solidarité version 21e siècle

Essoufflement des mécanismes de solidarité nationale, difficultés des associations caritatives… dans ce contexte, de nouvelles formes de solidarité se dessinent. En témoignent les sites Internet de «troc» de services qui se multiplient et mettent en partage une diversité d’annonces qui illustrent la diversité des besoins: « fixation de prises électriques et plom­berie contre techniques en recherche d’emploi », « cours de français contre installation de votre ordinateur », « cours d’anglais contre aide à jeunes mamans »… L’entraide a vocation, à générer des économies. Mais aussi à favoriser le développement de nouveaux liens sociaux.

Isabelle Friedmann – Ensemble et Solidaire – UNRPA

Comment définir la pauvreté

En France un individu peut être considéré comme pauvre quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 795 euros (soit 50% du niveau de vie médian) ou à 954 euros (si on place le seuil à 60% du niveau de vie médian).

Si l’on adopte la première définition, la France compte 4,5 millions de pauvres; 8,2 millions selon la seconde. À noter: le salaire médian net s’élève actuellement à 1.653 euros, ce qui signifie qu’il y a en France autant de gens qui gagne moins, autant qui gagne plus.

En chiffre

7,5 % de la population française est considérée comme pauvre

10,9 % des 18-29 ans 3,7 % des 60 ans et plus

Source: lnsee, enquête revenus fiscaux et sociaux, 2009

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Notes

1. Les retraités pauvres, un vote-clé, de Serge Guérin, sociologue, et Christophe Guilluy, géographe, Le Monde, 28 août 2012.

2. Le syndicat professionnel des organismes faisant appel aux générosités