TRAITE BUDGÉTAIRE : Au secours!

Mieux qu’un long discours, expliquant les raisons de s’opposer à ce traité (TSCG), l’excellent article en forme de récit des journées des universités d’été du Medef, ces prises de parole, les commandements qu’il contient, détaille les intérêts divergents de chacun. Je vous invite à lire intégralement cet article. MC.

A l’occasion de son université d’été, le Medef a voulu reconstituer le club des incorrigibles optimistes

La démocratie est menacée, les politiques, les politiques d’austérité étranglent les peuples et risquent de faire éclater l’Union européenne. Mais Laurence Parisot invite ses troupes à « raconter des histoires glorieuses ».

Qu’est-ce que l’Europe peut faire pour toi? » Au premier soir de l’université d’été du Medef, les patrons, tee-shirts fuchsia noués sur les épaules, prennent le slogan publicitaire au pied de la lettre: eux, ils veulent bien inaugurer le stand de la Commission européenne, la seule institution politique invitée à être présente en permanence à leurs côtés sur le campus d’HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines), mais l’Europe, elle n’a qu’à commencer par servir l’apéritif.

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Pendant ce temps, Laurence Parisot disserte au pupitre, un brin mécanique, elle évoque ce que l’Union européenne et la Commission en particulier ont apporté jusqu’ici au patronat « pour transformer; pour éliminer ce qui nous gêne dans le fonctionnement économique, les dysfonctionnements, les apories des impasses »;

Mais sous la tente de la Commission, le bourdonnement des mondanités finit par agacer la dame de fer du patronat «Attendez, attendez écoutez-moi, c’est important ce que je suis en train de vous dire! » La présidente du Medef parvient à se hisser au-dessus du brouhaha, au rang des visionnaires pères de l’Europe. « La sortie de la crise passe par une intégration européenne accrue, elle passe par une Europe fédérale, démocratique, dans laquelle on aura approfondi les mécanismes de contrôle politique. Vous avez cette fibre-là, j’imagine… Alors si vous y croyez prenez votre bâton de pèlerin, allez expliquer tout ce que l’Europe nous a permis de faire, allez raconter des histoires glorieuses! »

Réformes à marche forcée de la protection sociale et du marché du travail, gouvernement des experts et des technocrates néolibéraux, monétarisme forcené, « règle d’or » interdisant les déficits publics, concurrence libre et non faussée, peuples étranglés par les politiques d’austérité… Peut- être que oui, et ça n’est pas pour gêner le patronat, au contraire, Laurence Parisot à une meilleure solution pour vendre à l’opinion son destin de marché unique. « Passez la bande-annonce de l’Auberge espagnole autour de vous », incite-telle, dans un style de plus en plus relâché.

C’est la meilleure façon de raconter à quel point l’Europe, c’est un vrai bordel, mais c’est génial! Essayez à la fin des fins d’expliquer aux jeunes générations qu’elles ont un challenge formidable à portée de main, c’est de transformer le vieux continent en Nouveau Monde. Faites en sorte que nous, les entrepreneurs, nous soyons les pionniers de cette belle aventure! »C’est patent, le patronat n’a pas digéré la victoire du « non » en 2005 et aujourd’hui, la ligne fixée par Laurence Parisot est limpide: « On ne doit pas se poser la question de la ratification du traité européen: il faut le signer des deux mains. »

D’après un sondage CSA pour l’Humanité, 72 % des Français souhaitent une consultation populaire sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), mais, empêtrée dans ses « histoires glorieuses », la squatteuse de cette « géniale » auberge espagnole, à la fois présidente du Medef et patronne de l’IFOP n’en a cure.

« Je ne veux pas que la France prenne le risque de faire échouer la construction européenne, c’est une responsabilité que nous avons collectivement devant l’Histoire », a rassuré, dès l’ouverture de l’université d’été du Medef, Jean-Marc Ayrault en présentant la ratification parlementaire du pacte budgétaire et la traduction de ses principes dans une loi organique, le mois prochain, à la fois connue un « temps fort » et une preuve du prioritaire « effort de redressement des comptes publics ».

À la tribune des festivités patronales, Noëlle Lenoir ministre des Affaires européennes sous Raffarin reconvertie comme avocate d’affaires, animatrice du Cercle des Européens qui se félicite de la décision du Conseil constitutionnel d’autoriser la simple ratification parlementaire du TSCG -.« elle évité un débat politique à la France », admet-elle ingénument -, évoque une « exception française qui nous a marginalisés à l’époque du traité constitutionnel européen »: « Toute cette histoire nous a fait apparaître comme ayant une aptitude au changement plus limitée que les autres ».

Ex commissaire européenne et aujourd’hui vice-présidente du Sénat italien, Emma Bonino raille cette timidité hexagonale, mais sans convaincre. « En France, vous êtes un peu paralysés par la peur du référendum, remarque-t-elle. Ici, on ne peut jamais rien faire, rien dire, il faut être discrets, c’est absurde! A la dérive populiste et démagogique, il est inutile de répondre par des demi-mots et des périphrases. Ce n’est pas une question de froisser les gens, mais il faut parler vrai, c’est le moment des grands débats. Face au populisme, inutile d’essayer d’apaiser les esprits! »

Pour dresser un écran de fumée idéologique contre toute tentation référendaire, le Medef sort la grosse artillerie, une « incantation de l’intelligentsia française telle que nous l’aimons », un « homme engagé comme nous, mais différemment de nous » (Parisot dixie), soit Bernard-Henri Lévy. Comme par hasard, pour présenter au parterre, la patronne des patrons ne cite en long et en large ni ses épopées en Bosnie ou en Libye, ni ses essais de dissident germanopratin, mais un article paru dans le Point à la veille du référendum en 2005. « Le libéralisme, voilà pour tout le monde le résumé de nos maux, la définition de l’horreur politique, écrivait le penseur dans une prose déclamée par son aimable hôtesse. Lorsque tout sera fini, il faudra quand même s’interroger sur cette bizarrerie sémantique, doublée d’une monstruosité idéologique. Lorsque les Français auront choisi et que les passions se seront apaises, j’espère qu’il se trouvera un historien des idées pour se demander quand, comment, au terme de quels incroyables détours signifiants, la qualification de libéral, cette épithète magnifique qui, dans toutes les langues du monde, signifie amide la liberté; a pu s’identifier à son contraire ». Laurence Parisot articule, la bouche en cœur: « Vous comprenez pourquoi j’ai tant aimé ce passage, il est d’une actualité brûlante ».

Avant de laisser le crachoir à BHL, qui, non sans caricaturer les altermondialistes et les antilibéraux – « C’est l’autre nom du souverainisme », cravate-t-il -, fait le job: « Dans ma jeunesse, on disait socialisme ou barbarie; aujourd’hui, c’est intégration européenne ou misère, intégration européenne ou récession, intégration européenne ou chaos! »

Pour défendre les politiques d’austérité – celles qui, comme les Grecs l’apprennent dans leur chair sauvera de la misère, de la récession et du chaos, les banquiers se dressent en première ligne au sein du patronat, et à leurs yeux, dans leur cœur comme dans leur portefeuille, l’Europe, c’est d’abord la rigueur budgétaire imposée aux Etats, avec peut-être un petit supplément d’âme communautaire afin de mener les libéralisations inéluctables. « La ratification du traité budgétaire européen est importante et urgente, considère par exemple Baudouin Prot, patron de BNP Paribas, le plus gros établissement bancaire de la zone euro. On a besoin de plus d’Europe. Cela, signifie en pratique qu’il faut que chacun des Etats mène une politique de finances publiques sérieuse, ça, c’est vraiment l’essentiel! Tout ce qui a été annoncé en la matière doit maintenant être appliqué rapidement, il n’y a pas de salut en dehors de ces mesures… Ensuite, il faut également favoriser la com­pétitivité, libérer les énergies avec plus de flexibilité sur le marché du travail. L’heure n’est pas venue de nous reposer sur de quelconques lauriers! »

Patron fondateur de Sodexo et champion de l’applaudimètre dans les allées du Medef, Pierre Bellon ne manque pas de préciser avec des accents assez nettement poujadistes: « La France doit réduire ses déficits publics, c’est évident : Ces dépenses sont dues au trop d’interventionnisme des États, au trop grand nombre de fonctionnaires! Eux, ils défendent leur statut injuste et anormal – emploi à vie, avantages sociaux, comités d’entreprise et grèves qui sont toujours payées -, et c’est nous, les entreprises privées, qui défendons l’intérêt général, je l’ai toujours pensé, moi! » « Oui, il faut de la rigueur du sérieux, sinon de l’austérité pour faire avancer la construction européenne », surenchérit, de son côté, le grand banquier français Michel Pébereau. Et ce haut fonctionnaire qui a conduit jadis la privatisation de la BNP de lancer une interrogation pour le moins rhétorique: « Comment-exercer 1’autorité dans un pays en crise ? »

En creux, ou plus ouvertement, le Medef et ses invités ne manquent pas de pistes pour asseoir toutes les dérives anti-démocratiques : la souveraineté populaire, c’est quand même un gros handicap pour les affaires; mieux vaut un bon gouvernement d’experts  à l’italienne ou à la grecque, ou mieux encore comme la Banque centrale européenne (BCE), pour mettre en  musique une stratégie du choc… Michel Rocard, qui a son rond de serviette dans ce cénacle sous le prétexte de pérorer sur la fonte des glaces, ne manque jamais de défendre le coup de force: « La survie de l’humanité passe quand même par l’abandon de l’idée de souveraineté nationale. En Europe, la France est l’un des pays les plus arrogants pour ce qui est de la préserver, mais il va bien falloir avaler ce que décident Mme Merkel et ses petits copains… Heureusement, dans le monde patronal, vous êtes sans aucun doute les plus ouverts à cette perspective parce que, vous, vous connaissez le monde ».

Afin de justifier ces légers arrangements avec des démocraties tempérées comme la France, le patronat et ses intellectuels de service mettent en avant le danger du « populisme ». « II y a aujourd’hui une course de vitesse entre une construction européenne trop lente qui devrait aboutir à une véritable autorité à l’échelle européenne, et l’impatience populiste qui déconstruit directement nos efforts, déplore Dominique Reynié, de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), un think tank libéral proche de l’UMP, si les forces populistes l’emportent, elles mettront à bas ce dont les peuples ont besoin pour réussir! »

A l’université d’été du Medef tous les intervenants savent mieux que quiconque comment faire le bonheur des peuples. « il ne peut y avoir d’Europe économique s’il n’y a pas aussi d’émergence de l’Europe sociale », semble mesurer à présent Laurence Parisot, alors qu’à l’échelon communautaire, Business Europe, l’organisation patronale européenne qui a été dirigée jusqu’à récemment par Ernest-Antoine Salière, ne s’est jamais signalée sur ce terrain.

Invité star, avec Romano Prodi, de la clôture des trois jours de propagande néolibérale à Jouy-en-Josas, Gerhard Schröder reçoit sous forme d’ovation un hommage à son sens du sacrifice, le sien sans doute plus que celui de ses concitoyens qui en ont Pourtant payé la facture: « Quand on veut transformer une société démocratique, il faut avoir de l’audace pour aller de l’avant. Au fond, il est plus important de réformer son pays que de se maintenir au pouvoir, je suis bien placé pour vous le dire… ».

L’ancien chancelier allemand, parti faire fortune depuis chez Gazprom, enfonce le clou: « Toutes les économies doivent devenir plus compétitives et le besoin de consolidation des finances publiques est énorme. Il faut réajuster en permanence nos systèmes de sécurité sociale pour assurer leur financement C’est pourquoi il y a environ dix ans nous avons décidé de procéder à la modernisation de notre système en Allemagne. À l’époque, le pays était considéré comme le grand malade de l’Europe; il était irréformable. Aujourd’hui, l’Allemagne est guérie grâce aux réformes que nous avons engagées. Les partenaires sociaux se sont montrés très responsables en s’accordant sur la modération salariale, on a porté l’âge de départ à la retraite à soixante-sept ans. .. L’agenda 2010, cela a été une révolution culturelle ».

« Sortir de nos difficultés passe par un grand bond en avant », répond en écho Laurence Parisot. L’Europe sociale à laquelle le Medef prétend rêver c’est bien celle-là, et seulement celle-là La patronne des patrons le revendique benoîtement: « Gerhard Schröder s’il y a un programme auquel nous adhérons tous ici, c’est bien votre fameux agenda 2010 que nous aimerions tant copier-coller dans notre pays… »

Source l’Humanité – Thomas Lemahieu